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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I
Autoren: Max Gallo
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d’où venait le claquement sur la façade, cinq fenêtres par étage, trois étages, une grosse bastide adossée à la falaise, face à la mer. Sur la clé de voûte, au-dessus du porche, gravée dans la pierre blanche, une inscription : « 1777, Jean Cordelier. » L’ancêtre, qui avait fait souche, construit de ses mains le cœur de la maison et depuis, autour de cette âme, les Cordelier avaient ajouté qui une aile, qui un étage. D’autres avaient acheté la vigne à l’ouest, l’oliveraie, les planches, et le bois de chênes qui s’étendait derrière le mas, jusqu’à mi-pente. Plus haut, la roche était nue.
    Jean Cordelier ouvrit la fenêtre, s’immobilisant, les nuages formaient au-dessus de la mer un relief noirâtre, des chaînes altières de pics, des vallons que le vent comblait. Il bloqua le volet, regagna la chambre, s’appuyant au mur, prenant la main de Lucia, s’efforçant de ne pas détourner les yeux, d’écouter et de retenir tous les halètements, les gestes du docteur Mandrea, de Madame Rossi, la sage-femme. Lucia lui transmit la secousse, il devina la tête, imagina le visage et il eut mal dans le sexe et les parties, comme si Lucia y plantait ses ongles, brûlure et déchirure. Il eut peur d’uriner sur place, il crut que son sexe allait gonfler, apparaître aux yeux de tous, forme qui naissait aussi, obscène. Jean Cordelier se tassa, vit la neige que le vent repoussait sur le rebord de la fenêtre, la buée obscurcissant le paysage, donnant à l’orage une teinte plus grise.
    — Laissez-la se reposer, chuchota le docteur, tout s’est finalement bien passé. Un garçon.
    Jean Cordelier s’approcha du lit. Lucia paraissait dormir, le visage en sueur. Du bout des doigts, il essuya le front, les joues, mais des gouttes recommençaient à perler près des oreilles.
    — Ce n’est rien, répéta le docteur, l’effort.
    Il entraînait Jean, lui montrait l’enfant posé nu sur une couverture. Madame Rossi semblait le caresser d’un linge humide.
    Les femmes de la maison, Madame Morel, la cuisinière, Madame Barale, l’épouse du fermier, étaient assises en bas, sur le banc, dans l’entrée. Elles se levèrent au moment où elles virent Jean Cordelier et le docteur Mandrea.
    — Un garçon, dit Jean Cordelier, ce sera Serge. Madame Barale se signa.
    — Mon Dieu, dit Madame Morel.
    Elle entra dans la cuisine en marmonnant et quelques minutes plus tard elle revenait avec deux tasses de café.
    — Buvez, docteur, et vous aussi Monsieur Jean.
    Ils s’installèrent dans la bibliothèque, Jean Cordelier assis à sa table de travail, le docteur Mandrea dans le fauteuil proche de la cheminée.
    — Pour moi, commença Cordelier, cette naissance, un miracle tardif.
    Il avait repoussé ses cahiers, les épures et les longues lignes de calculs. Les coudes posés sur la table, les poings appuyés à ses joues, il regardait le feu, se souvenait, trois ans déjà, Lucia qui entrait pour la première fois dans la bibliothèque, Madame Morel et Madame Barale debout sur le seuil, à l’observer, à chuchoter entre elles, plus tard, « qu’elle était bien trop jeune pour Monsieur Jean, cette Italienne, elle va nous en faire voir celle-là, parce que les Italiennes »… Et Madame Barale : « romaine, si encore elle était de Turin ou de Milan, mais Rome, Madame Morel…» Jean Cordelier devinait leurs commérages, comment elles devaient l’une et l’autre chez le boulanger, ou le boucher, dans les ruelles de Cabris, apprendre à tout le village que Jean Cordelier s’était enfin marié « à cinquante-deux ans, vous vous rendez compte. Et vous savez où il l’a connue ? À Rome, une de ces réunions qu’ils ont, les Savants », « tout savants qu’ils sont, ils se laissent mener par le bout du nez », « plus bête que les autres, croyez-moi ».
    Rome, en effet, des pluies d’automne qui noyaient la ville, les participants du Congrès International de Physique qui, une fois les séances de travail terminées, se rassemblaient dans les salons de leurs hôtels, Jean Cordelier poursuivant sa discussion avec le professeur Rudolf Menninger, de Munich, aimant la raideur hautaine de l’Allemand, cette manière presque ironique qu’il avait de prendre la feuille où Jean Cordelier avait entouré le résultat d’un calcul, le silence entre eux, Jean Cordelier, fermant les yeux, croisant ses doigts derrière la nuque, sûr de ses hypothèses et Menninger, enfin :
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