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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I
Autoren: Max Gallo
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Bertolini portait un enfant comme un présent.
    Il s’arrêta, non parce que le souffle lui manquait, mais parce qu’il voulait regarder le ciel traversé par le sillage de la voie lactée.

2

SOUVENIRS D’ENFANCE

1905

Si Dolorès avait eu simplement un col de dentelle blanche sur sa robe noire, ou bien des boutons de nacre, ou des rubans violets pour nouer ses cheveux, comme ceux que portait Lucia… Giulio, quand ils étaient enfants, la poursuivait d’oranger en oranger dans la cour intérieure du Palazzo Bertolini ; Lucia se penchait au-dessus du bassin, elle paraissait boire au jet de la fontaine mais quand son frère s’approchait, elle l’éclaboussait, vive, joyeuse, reprenant sa course jusqu’à ce qu’il la rejoigne, réussisse à tirer sur l’un des rubans violets, libérant ainsi les cheveux et Lucia criait, voix aiguë qui faisait ouvrir la fenêtre de maman au deuxième étage, « Giulio, Giulio, Cesse. » Lucia replaçait le ruban, regardait son frère longuement, puis quand elle devinait que Giulio était désemparé, navré de l’avoir peinée, elle riait.
    Dolorès riait-elle quelquefois ? Elle traversait le jardin du couvent à pas lents, toute en noir, des tresses ramenées en chignon sur sa nuque, les doigts croisés sur sa poitrine, tenant avec les pouces, comme le font souvent les sœurs, le crucifix, petite femme de cinq ans, à la peau très brune des Indiennes, marchant comme elles, en se balançant légèrement de gauche à droite, visage lisse où Giulio cherchait en vain la spontanéité de l’enfance. Il se baissait pour que leurs yeux se croisent, il lui tendait les bras pour qu’elle les saisisse, se blottisse contre lui, mais au lieu de bondir comme il l’espérait, elle s’immobilisait, tournant la tête, cherchant une autorisation, et quand la sœur qui l’accompagnait baissait les paupières ou esquissait un sourire, alors Dolorès avançait vers Giulio Bertolini mais sans élan, du même pas, s’arrêtant de manière à ne pas le toucher. Il la prenait par la main, penché vers elle, s’éloignant de la sœur, la promenant dans le jardin du cloître, essayant de faire parler Dolorès, lui tendant parfois l’une de ces sucreries indiennes, gluantes et de couleur vive. Mais Dolorès alors dégageait sa main, la croisait avec l’autre sur la poitrine dans une attitude de refus digne ou, et cela semblait pire à Giulio Bertolini, d’indifférence. Il essayait de se souvenir de Lucia quand elle avait cinq ans, de ce qu’ils se disaient alors, assis côte à côte sur le banc face au portail, regardant passer les calèches sur la Via Cavour dans la touffeur de l’été romain. Leur père s’obstinait à demeurer en ville parce qu’il voulait continuer ses recherches et que « la chaleur n’est pas un obstacle pour la physique, au contraire ». Mais que dire à cette petite fille murée, dressée ? Giulio monologuait près d’elle sans savoir si Dolorès entendait, s’il trouvait les mots simples et doux qui pouvaient gagner le cœur.
    — Tu as – il se baissait, ouvrait sa main droite devant les yeux de Dolorès – tu as cinq ans Dolorès.
    Il comptait repliant ses doigts « un, deux…»
    Elle était grave, immobile près de lui, il la sentait sur ses gardes, il commençait une phrase « ici, tu es…» mais pouvait-il dire « ici, es-tu heureuse ? ». Il s’interrompait, se reprochait de penser à cette question, d’imaginer qu’une enfant de cinq ans pût en comprendre le sens. Il s’éloignait de quelques pas. Il priait. Il se rassurait, revoyant la maison indienne, le feu de bois, la mère morte, la mort qui aurait au bout de quelques jours saisi Dolorès s’il ne s’était trouvé là, par hasard. Il priait encore pour effacer ce mot hasard, cette hérésie aux apparences anodines. Dieu l’avait conduit vers le quartier indien, ce soir-là, Dieu seul, pour qu’il sauve Dolorès. Il retournait vers la petite fille, mais de la voir ainsi, toute noire, figée, lui donnait envie d’écourter sa visite, comme si Dolorès l’accusait de ne l’avoir empêchée de mourir que pour lui donner une vie morte.
    Il quittait le couvent l’esprit confus, souvenirs d’enfance et projets déraisonnables intimement mêlés au point qu’il ne savait plus s’il pensait à Lucia ou à Dolorès. Il ne ressentait même plus l’essoufflement de la marche, il priait à voix très haute, jusqu’à ce qu’un passant surpris le regarde avec
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