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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête
Autoren: Andrea H. Japp
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vite, une sorte de soulagement avait remplacé
le chagrin, si rapidement même que la jeune femme en avait conçu une honte
diffuse. Elle demeurait seule, menacée, mais, pour la première fois, nul lien
ne la tenait à son passé, hormis sa fille, encore si jeune. Gisèle emportait
dans la tombe le dernier témoignage de cette nuit d’effroi, des années
auparavant, dans cette chapelle glaciale.
    Assise, le dos raide, devant la longue table de la cuisine,
Agnès tentait de juguler l’appréhension qui l’assiégeait depuis l’annonce de la
visite d’Eudes. Mabile, don de son demi-frère à la mort de Gisèle, lui jetait
parfois des regards de biais. La dame de Souarcy n’aimait pas cette fille,
pourtant docile et travailleuse, mais dont la présence à ses côtés lui
rappelait Eudes avec une fâcheuse permanence. Il lui semblait que le doux
Clément, pourtant encore bien jeune, partageait sa défiance. Ne lui avait-il
pas dit un jour, d’un ton léger que démentait son regard sérieux :
    — Mabile se trouve dans votre chambre, madame. Elle y
ordonne vos effets... à nouveau, les sortant pour les examiner avec grand soin
avant de les ranger. Mais... comment pourrait-elle classer vos registres...
elle ne sait pas lire... Enfin, du moins est-ce ce qu’elle prétend.
    Il n’en avait pas fallu davantage à Agnès pour comprendre le
sous-entendu de l’enfant. Mabile avait été chargée d’une mission d’espionnage
par son ancien maître, non que cette révélation la surprît, puisqu’elle
expliquait, bien mieux que la compassion, l’insistante générosité de son frère.
    L’étrange précocité de Clément étonnait Agnès. Son
intelligence aiguë, son implacable sens de l’observation, sa déroutante
facilité à apprendre, à mémoriser, faisait souvent oublier son jeune âge. Agnès
lui avait à peine enseigné les rudiments de l’alphabet qu’il savait déjà lire
et écrire. Ce privilège du savoir laissait sa fille Mathilde si indifférente
qu’elle peinait pour ânonner la moindre prière. Mathilde avait la grâce et la
légèreté d’un joli papillon et les lourdeurs de la vie l’agaçaient vite.
Peut-être l’étrange naissance de Clément en était-elle la cause ? Mathilde
n’était toujours qu’une fillette, alors qu’il semblait parfois à Agnès que
Clément devenait chaque jour davantage un compagnon sur lequel s’appuyer.
Qu’avait compris l’enfant de l’ignoble entreprise d’Eudes ? Que sentait-il
au juste de ce qui les menaçait tous les trois ? Savait-il que son sort
serait le plus cruel si l’on découvrait sa véritable identité et son origine ?
Bâtard d’une servante violée, rejeton d’une suicidée que les fables de
l’hérésie avaient séduite et qui n’avait échappé à la torture et au bûcher que
grâce à l’involontaire complicité d’Agnès. Et si l’on venait à soupçonner ce
que l’enfant savait devoir dissimuler ? Elle frissonna. Comment avait-elle
pu ignorer l’ascétisme de Sybille, au point de mettre le comportement exalté de
la très jeune fille au compte de sa grossesse infligée par un soudard
quelconque ? Fallait-il être aveugle. Mais au fond, qu’eut-elle fait si
elle l’avait deviné ? Rien, sans doute. Elle n’aurait certes pas jeté
dehors cette pauvre fille déjà si éprouvée. Quant à une dénonciation, c’était
là une infamie et un déshonneur auxquels Agnès ne s’abaisserait jamais.
    — Madame, le baron de Larnay, mon bon maître,
nuiterat-il chez vous ? Il faudrait, en ce cas, que j’envoie Adeline
préparer son appartement, s’enquit Mabile en baissant le regard.
    — J’ignore s’il nous honorera de sa présence cette
nuit.
    — Le chemin est bien long, pas loin de sept ou huit lieues*.
Sans doute lui et sa monture seront-ils fourbus. Oh, il ne nous arrivera pas
avant none*, peut-être même vêpres*, regretta-t-elle.
    S’il pouvait se perdre dans la forêt des Clairets et n’en
plus reparaître, ce serait un soulagement, songea Agnès en commentant :
    — En effet, quel voyage harassant pour lui, et comme il
est aimable de le subir pour nous visiter.
    Mabile approuva la remarque de sa nouvelle maîtresse d’un
petit mouvement de tête en déclarant :
    — Voilà qui est bien vrai. Quel valeureux frère vous
avez là, madame.
    Le regard d’Agnès rencontra celui de Clément, qui détourna
aussitôt le visage, s’absorbant dans la contemplation des braises qui
rougeoyaient dans
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