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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête
Autoren: Andrea H. Japp
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l’âtre de l’immense cheminée. On y faisait rôtir des cerfs
entiers lorsque Hugues était encore de ce monde.
    Agnès n’avait jamais aimé son mari, au demeurant, la notion
d’un attachement sentimental à cet homme vers qui on la conduisait ne l’avait
pas effleurée. Âgée d’à peine treize ans, elle était majeure [7] . Elle devait épouser cet homme pieux
et courtois. Il l’avait traitée avec les égards qu’il lui eut réservés si sa
mère avait été la baronne de Larnay plutôt que sa dame d’entourage. En tout
cas, il avait été assez homme d’honneur pour ne lui faire jamais sentir qu’elle
n’était que la dernière bâtarde noble semée par feu le baron Robert, le père
d’Eudes. Ce dernier, pris d’un remords en même temps que le frappait une bien
tardive dévotion, avait exigé que l’on reconnût sa fille, et même Eudes, que
cette parenté officielle n’arrangeait pas, s’était incliné. Le vieux baron
Robert de Larnay avait donc marié à la hâte l’adolescente à Hugues de Souarcy,
ancien compagnon de beuverie, de ripaille et de guerre, veuf sans enfant et
surtout plus fidèle vassal. Il l’avait dotée petitement, mais l’étonnante
beauté d’Agnès et son extrême jeunesse avaient achevé de conquérir son futur
époux. Elle avait donc accepté de bonne grâce ces épousailles qui lui
concédaient une reconnaissance et qui, surtout, la mettaient hors de portée de
son demi-frère. Mais Hugues était mort sans avoir produit de fils et, à
vingt-cinq ans, elle se retrouvait dans une situation guère plus enviable que
lorsqu’elle vivait encore sous le toit de son père. Certes, le douaire [8] hérité de son mari lui permettait de
survivre et de faire survivre ses gens, à peine. Il ne représentait que le
tiers des rares biens immeubles qu’Hugues n’avait pas dilapidés, rien d’autre
que le manoir de Souarcy, les terres avoisinantes, sans oublier la
Haute-Gravière, une étendue de terre aride et grise où seuls poussaient
chardons et orties. Et encore, il ne s’agissait là que d’un usufruit bien
volatil. Si Eudes parvenait, comme elle le redoutait, à faire croire à une
mauvaise conduite de la veuve, elle serait dépossédée en vertu d’une coutume
inspirée de Normandie qui stipulait : « Au mal-coucher, femme perd
son douaire. » La province normande, bien que rattachée au royaume depuis
cent ans au prix d’incessantes guerres, conservait ses us et réclamait à corps
et à cris une « charte aux Normands » rappelant ses privilèges
traditionnels. Ils n’étaient pas en faveur des femmes. Si son demi-frère
parvenait à ses fins, il ne lui resterait pour échapper au dénuement que trois
solutions : le couvent, mais il lui faudrait abandonner sa fille aux mains
prédatrices d’Eudes, ou un remariage pour peu qu’il l’accepte, c’est-à-dire
qu’il ne puisse le refuser. La mort, aussi. Car il était exclu qu’elle lui
cède.
    Mabile la ramena à la réalité en soupirant :
    — Quel dommage que nous soyons mercredi, jour maigre [9] . Enfin, si mon maître restait demain,
nous avons quelques beaux faisans qui feront son délice. Ce soir, il lui faudra
se contenter d’une porée verte aux blettes mais sans porc, de champignons
sautés aux épices et d’un taillis aux fruits.
    — Ce genre de regret n’a nulle place dans ma maison,
Mabile. Quant à mon frère, je suis bien certaine qu’il trouve grand réconfort
dans la pénitence, comme nous tous, rétorqua Agnès, l’esprit ailleurs.
    — Oh, comme nous tous, madame, approuva l’autre,
inquiète que sa remarque soit interprétée comme sacrilège.
    Le remue-ménage qui s’éleva soudain de la grande cour carrée
mit terme à l’embarras de Mabile. Eudes venait d’arriver. Elle se rua vers le
fouet accroché derrière la porte pour calmer les chiens et se précipita en
couinant de bonheur. L’espace d’un instant, Agnès se demanda si son demi-frère
ne possédait pas en la suivante davantage qu’une fidèle exécutante. Après tout,
peut-être cette pauvre fille avait-elle l’espoir d’être engrossée par Eudes,
peut-être se leurrait-elle en imaginant que son fruit bâtard serait reconnu et
jouirait de la même fortune qu’Agnès. Elle se trompait. Eudes n’était pas
Robert, son père. Loin s’en fallait et pourtant, le baron Robert n’avait été ni
saint ni même homme d’honneur. Mais le fils la jetterait dehors, sans le sou,
pour éviter le moindre
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