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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête
Autoren: Andrea H. Japp
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suivit un instant d’une traîne éphémère puis
sombra au sol. Elle dénoua la mince ceinture de cuir qui retenait sa robe et
enjamba le vêtement sans ralentir sa progression. Sur le coup, elle ne sentit
presque rien. Puis sa peau nue se hérissa, la brûlant presque. Le froid
implacable lui fit monter les larmes aux yeux. Elle serra les mâchoires et fixa
le crucifix de bois peint, sans trop savoir où se perdaient ses pensées, puis
tomba à genoux. Elle suivit, comme dans un rêve, les tremblements qui agitaient
le petit corps maigre et livide de Sybille. La très jeune femme se roula en
boule sous l’autel, répétant à l’infini la même litanie : Adoramus te,
Christe [5] .
Adoramus te, Christe. Adoramus te, Christe.
    Une tétanie crispa le corps de Sybille, elle buta sur les
mots de sa prière, sembla suffoquer mais se reprit une dernière fois :
    — Ado... ramus te... Christe.
    Un hoquet, un sanglot, un interminable soupir, les jambes
osseuses de sa demoiselle se détendirent.
    Était-ce déjà la mort ? Était-ce si simple ?
    Il sembla à Agnès qu’une éternité s’était écoulée avant que
son corps ne fléchisse vers l’avant. La pierre gelée l’accueillit sans
compassion. D’abord la chair de son ventre se rebella, mais elle la fit taire.
Elle étendit ses bras en croix et demeura là. Il n’existait aucun autre endroit
où se rendre.
    Combien de temps pria-t-elle pour le futur de Mathilde,
combien de temps admit-elle qu’elle péchait contre son corps et son esprit, et
ne méritait nulle grâce ? Pourtant, il lui en fut accordé une : elle
sentit peu à peu sa conscience l’abandonner. Le froid impitoyable des pierres
ne la mordait plus. Elle le percevait à peine. Le sang qui s’affolait dans les
veines de son cou s’apaisait. Bientôt, elle dormirait, sans plus craindre de se
réveiller jamais.
    — Lève-toi ! Lève-toi à l’instant.
    Agnès sourit à la voix dont les mots lui étaient
incompréhensibles. Une main sans aménité s’abattit sur ses cheveux qui
formaient comme une vague soyeuse sur les pierres sombres.
    — Lève-toi, c’est un crime ! Tu seras maudite et
la faute retombera sur ta fille.
    Agnès tourna la tête de l’autre côté, peut-être ainsi la
voix se tairait-elle.
    Une lourde nappe de chaleur écrasa son dos. Un souffle
brûlant malmena sa nuque, deux mains se faufilèrent sous son ventre afin de la
retourner. Ce poids, c’était celui d’un corps qui s’allongeait sur son dos pour
la réchauffer.
    La nourrice Gisèle bagarra contre la rigidité de la jeune
fille. Elle l’enveloppa dans son manteau, tentant de la relever. Agnès était
fine mais tous ses muscles rechignaient à ce sauvetage. Des larmes de rage et
d’effort trempaient les joues de la femme, couvrant de givre ses lèvres.
    Agnès murmura :
    — Sybille ?
    — Elle est bientôt morte. C’est le mieux qu’elle a à
faire. Même si je dois te battre, tu vas te lever. C’est un péché, et c’est
indigne de ton sang.
    — L’enfant ?
    — Plus tard.

 
     
Manoir de Souarcy-en-Perche, mai 1304
    Mathilde, onze ans, tournait autour du gâteau de miel et
d’épices que Mabile venait de sortir du four de pierre. Elle piaffait
d’impatience en guettant l’arrivée de cet oncle qui la séduisait tant. Clément,
bientôt dix ans, enfant maudit de Sybille, qu’elle avait poussé hors d’elle
avant de s’éteindre tout à fait, demeurait muet à son habitude, son grand
regard pers posé sur Agnès. Gisèle avait récupéré le nouveau-né après avoir
tranché le cordon, l’enveloppant de son manteau afin qu’il ne mourût pas de
froid. Agnès et la nourrice avaient redouté qu’il ne survive pas à cette
effroyable naissance, mais la vie s’accrochait déjà en lui. En revanche,
celle-ci avait abandonné Gisèle l’hiver dernier, en dépit des soins que lui
avait prodigués Agnès, qui avait supplié son demi-frère Eudes de Larnay de lui
envoyer son mire [6] afin qu’il l’examinât. Les décoctions d’ache et les sangsues du praticien
avaient été insuffisantes à guérir la fluxion de poitrine qui enfiévrait la
vieille femme. Elle était morte au petit matin, sa tête enfouie dans le ventre
de sa maîtresse, qui s’était allongée à ses côtés pour la réchauffer davantage.
    La disparition de l’autoritaire pilier qui avait surveillé
et ordonné sa vie si longtemps avait d’abord affecté Agnès au point de lui
ravir l’appétit. Pourtant, assez
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