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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête
Autoren: Andrea H. Japp
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désagrément. Elle rejoindrait la légion sans fin des
filles déshonorées qui échouaient dans les maisons de plaisir ou se louaient à
la journée dans les fermes contre un repas et une piécette afin d’y exécuter
les travaux pénibles.
    Mathilde bondit sur ses pieds et courut derrière Mabile pour
accueillir son oncle, qui arrivait le plus souvent les bras chargés de présents
rares et précieux. La richesse des Larnay était une des plus enviables du
Perche. Ils avaient eu l’heur faste de découvrir sur leurs terres une mine de
fer, exploitable à ciel ouvert. Le royaume en prisait le minerai, qui
alimentait également les convoitises anglaises. Cette manne valait au baron
ordinaire [10] quelques égards de la part du roi Philippe IV le Bel*, qui ne tenait certes pas
à ce que la famille des Larnay se laisse tenter par une alliance avec l’ancien
ennemi de toujours. Le royaume de France était parvenu à se lier tant bien que
mal à l’anglais, mais cette amitié était volage, de part et d’autre, en dépit
des projets de mariage d’Isabelle, fille de Philippe, avec Édouard II
Plante-Genest [11] .
    Eudes, en dépit de son peu de tête, n’était pas stupide au
point de se laisser berner. Les incessants besoins d’argent de Philippe le Bel
en faisaient un souverain difficile, voire imprévisible. La tactique du baron
était simple et avait porté ses fruits : courber l’échine, assurer le roi
de sa fidélité, tout en évoquant à mi-mots consternés les pressions ou les
offres anglaises, bref faire allégeance, le rassurer, tout en l’encourageant à
se montrer plus généreux. Il convenait cependant de ne pas s’abuser. Philippe
et ses conseillers n’avaient pas hésité à faire emprisonner Gui de Dampierre
pour lui ravir la Flandre, à confisquer les biens marchands des Lombards et des
Juifs, et même à ordonner en septembre de l’année passée l’enlèvement du pape
Boniface VIII* alors qu’il séjournait à Anagni*. Eudes n’ignorait pas que s’il
s’opposait au roi, ou s’il le contrariait de la plus infime manière, il
finirait bien vite au fond d’un cul de basse-fosse ou lardé de coups de couteau
par un providentiel vagabond.
    Agnès se leva en soupirant, rajustant la ceinture de sa robe
et son voile. Une petite voix la fit sursauter :
    — Courage, madame. Vous êtes de l’esprit qu’il faut.
    Clément. Elle avait presque oublié sa présence tant il
savait se faire discret, presque invisible.
    — Crois-tu ?
    — Je le sais. Après tout... ce n’est qu’un benêt
dangereux.
    — Dangereux, en effet. Dangereux et puissant.
    — Plus puissant que vous, mais moins que d’autres.
    Il disparut sur ces mots par une porte basse qui menait au
restrait [12] des serviteurs.
    Étrange enfant, songea-t-elle en se dirigeant vers le
vacarme qui provenait de l’extérieur. Lisait-il dans ses pensées ?
    La voix d’Eudes claquait. Il ordonnait, rudoyant les uns,
invectivant les autres. Lorsqu’Agnès fit son apparition dans la cour, un
sourire remplaça aussitôt la moue écœurée et exaspérée de son frère. Il
s’exclama en se dirigeant vers elle, bras larges ouverts :
    — Vous êtes chaque jour plus radieuse, madame !
Vos chiens de Beauce sont de vrais fauves. Il faudra m’en garder deux mâles à
la prochaine portée.
    — Mon frère, quelle joie de vous voir. En effet, ces
molosses sont féroces avec les étrangers mais fiables et prévenants avec leurs
maîtres et les troupeaux. Votre mesnie vous apporte-t-elle toujours grande
satisfaction ? Et comment se porte madame Apolline, votre épouse, ma
sœur ?
    — Elle est grosse à son habitude. Si au moins elle
parvenait à accoucher d’un fils ! Et elle pue l’ail, doux Jésus, elle
empuantit l’air du matin au soir. Son mire affirme que les décoctions et les
bains de ce révoltant bulbe produisent des mâles. Elle soufflote, elle
souffrotte, elle crachote, bref, elle me gâche les jours, quant aux nuits...
    — Prions donc qu’elle vous donne un vaillant fils, et à
moi un beau neveu, biaisa Agnès.
    Elle ouvrit à son tour les bras, afin de saisir les mains
qui menaçaient de se refermer sur son corps. Puis elle s’écarta brusquement
sous prétexte de donner des ordres au valet de ferme qui tentait de maîtriser
la monture fourbue et énervée d’Eudes.
    — Qu’attends-tu pour mettre pied à terre ? lança
ce dernier au page qui s’endormait sur son hongre au large poitrail.
    Le jeune
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