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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête
Autoren: Andrea H. Japp
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mauvaise, et elle avait craché sa
sentence comme un venin.
    Hugues de Souarcy n’aurait pas d’hoir [3] posthume. Plus rien ne pourrait la
sauver.
    Agnès était demeurée immobile, incrédule. Incrédule parce
que la terreur qui la tenaillait depuis des mois venait de se retirer au loin.
Tout était dit, tout était achevé.
    Un événement incompréhensible s’était alors produit, au
moment où la jeune fille avait rabattu l’aumusse [4] de sa cape sur ses cheveux avant de sortir de la masure.
    Un rictus avait déformé les lèvres de la diseuse, et elle
avait détourné le visage en glapissant :
    — Pars d’ici, pars aussitôt ! Rembarque ton
panier, je veux rien de toi. Allez, pars, que je te dis !
    La hargne triomphale de la mauvaise avait laissé place à une
déroutante panique, dont Agnès ignorait la raison. Elle avait argumenté :
    — J’ai marché longtemps, sorcière, et...
    L’autre avait hurlé comme une furie, rabattant son tablier
crasseux sur son bonnet pour se voiler les yeux :
    — Pars... T’as rien à faire ici. Hors de ma vue !
Hors de ma cabane ! Et reviens pas, reviens jamais, tu m’entends ?
    Si un désespoir infini n’avait pas remplacé la peur qui
rongeait Agnès depuis des lunes, sans doute aurait-elle exigé que la femme se
calme et s’explique. Sans doute sa stupéfiante crise nerveuse l’aurait-elle
intriguée, voire inquiétée. Il n’en avait rien été. Elle était sortie, une
soudaine et immense fatigue alourdissant sa démarche. Elle avait lutté contre
l’envie de s’effondrer là, juste dehors, dans cette boue souillée d’excréments
de porcs, de s’endormir enfin, de mourir peut-être.
    Le froid glacial, que le feu de l’immense cheminée était
parvenu à repousser vers les murs de pierre nue, dévala sur elle, réclamant sa
revanche. Elle serra contre elle son manteau doublé de fourrure et quitta ses
chaussons de laine bouillie. Mathilde, sa fille âgée d’un an et demi, les
porterait dans quelques années, si Dieu lui prêtait vie.
    Pieds nus, Agnès descendit l’escalier en colimaçon qui
menait du vestibule précédant ses appartements de nuit à la grande salle
commune. Elle foula les dalles de pierre noire. Seul l’écho creux de ses pieds
semblait exister encore, le reste de l’univers s’était estompé, l’abandonnant
sans autre projet, sans autre but que les quelques minutes qui allaient suivre.
Elle sourit de la peau pâle de ses mains qui bleuissait, de ses talons que le
gel collait au granit du sol. Bientôt, la morsure cesserait. Bientôt, autre
chose remplacerait cette attente qui n’avait plus lieu d’être. Bientôt.
    La chapelle. Une onde gelée semblait avoir immobilisé le
temps entre ces murs sombres. Une ombre mince se détacha d’un des murs.
Sybille. Elle s’avança vers Agnès, les joues décolorées de froid, de
privations, de peur aussi. Une mince chemise la couvrait jusqu’aux chevilles,
tirant sur son ventre, révélant la vie qui s’était arrondie en elle, qui
bientôt réclamerait la lumière. Elle tendit des mains décharnées vers la dame
de Souarcy, un sourire extatique étirant ses lèvres :
    — La mort sera douce, madame. Nous pénétrons dans la
lumière. Ce corps est lourd, si sale. Il puait déjà avant que je ne le souille
davantage.
    — Tais-toi, ordonna Agnès.
    L’autre obéit, baissant la tête. Une paix parfaite, comme
une langueur, l’avait envahie. Plus rien ne comptait à ses yeux, que cette
infinie gratitude qu’elle ressentait vis-à-vis d’Agnès, son ange. Elle allait
quitter cette chair immonde en sa compagnie, se sauvant du pire et sauvant
également cette femme si belle, si douce, qui avait cru juste et bon de
l’accueillir, de la protéger des hordes impies. Ceux-là souffriraient mille
morts et verseraient des larmes de sang en comprenant leur monstrueuse erreur,
mais du moins aurait-elle sauvé l’âme de colombe d’Agnès, du moins se
serait-elle sauvée, elle-même et cet enfant qui remuait si fort sous ses seins.
Grâce à elle, sa dame pénétrerait dans l’infinie et éternelle joie du Christ.
Grâce à elle, cet enfant dont elle ne voulait pas ne naîtrait pas. Il serait
éclat de lumière avant d’avoir eu à souffrir l’insupportable fardeau de la
chair.
    — Allons, reprit Agnès dans un souffle.
    — Avez-vous peur, madame ?
    — Tais-toi, Sybille.
    Elles avancèrent vers l’autel relevé à la hâte. Agnès se
défit de son manteau, qui la
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