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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais
Autoren: Pierre Naudin
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avoir envie après tant de jours de silence… Oh ! Oh ! Je comprends… « Parler, soit », vous dites-vous, « mais pas avec un tel morpoil ! ». Il nous faut nous accommoder l’un de l’autre… Vous en souffrez !
    Tristan s’encouragea dans sa langue natale : «  Cal préné las géns couma sooun et lou téns couma vén (1) 42  » avant de s’informer :
    – Prétends-tu connaître mes pensées ?
    – Moins d’arrogance, messire !… Après Crécy, Poitiers et autres défaites, le commun vous dénie le droit de vous considérer comme des preux infaillibles !… On vous a vus partir, superbes, sur vos coursiers richement apprêtés, adoubés d’armures étincelantes acquises grâce à l’épaisse contribution des manants, hurons, petits-bourgeois, et suivis par notre bonne et hardie piétaille que vous avez fait occire sans remords !… Ensuite, afin que vous puissiez revenir parmi nous, il a fallu assembler le peu d’écus qui restaient dans les maisons pour acquitter votre rançon !… On pouvait souhaiter quelque reconnaissance… Ah ! Mais non : vous avez recouvré toute votre fierté !
    Tristan ne put se courroucer :
    – C’est vrai que la présomption de la plupart des chevaliers est insupportable. Je n’étais pas à Crécy : trop jeune… À Poitiers, je venais de fêter mes seize ans… Il m’est advenu d’avoir honte de mes pairs avant cette bataille d’une horribleté qui me tourmente encore… Mais sache-le, Tiercelet : je m’y suis hardiment conduit et j’ai pleuré quand j’ai reçu commandement d’accompagner les fils du roi à Chauvigny avec le maréchal Robert de Waurin, sire de Saint- Venant,
    Jean de Landas et Thibaut de Vodenay, les gouverneurs du duc Charles de Normandie !
    – Auriez-vous préféré crever l’épée en main ?
    – Pourquoi périr ? Poursuivre le combat car nous étions puissants par le nombre et la foi… Ah ! Ils étaient beaux à voir, les fils du roi : Charles de Normandie pleurait et claquait des dents, et je suis sûr que les deux autres, le comte de Poitiers et le comte de Touraine avaient depuis longtemps souillé leurs braies !
    Sans déplaisir, Tristan entendit rire son compagnon.
    – Parvenu sous les murs de Chauvigny, vous avez dû pousser un grand ouf !
    –  Je n’y suis pas allé, car bien avant d’atteindre cette cité, nous avons rencontré Philippe, duc d’Orléans, et ses compagnies… Je me suis joint à eux et c’est ainsi que j’ai pu côtoyer, dans la mêlée, le roi et son fils… Quand j’ai compris que tout était perdu fors l’honneur des Castelreng, j’ai fui. Tu vois, je ne suis pas homme de mensonge !
    La fougue qui venait de l’animer abandonna le cœur de Tristan. Sa voix devint basse, funèbre :
    – J’ai pu estoquer un Goddon et sauter sur son cheval. Tandis que les chevaliers du prince Edouard s’acharnaient à la prise du roi et de son fils, j’ai boute-culé quatre ou cinq hommes qui se mettaient en travers du chemin que je me frayais, et j’ai reçu dans l’épaule dextre un gros vireton d’arbalète… Couché sur l’encolure, comme mort, avec le bois qui vacillait dans mon dos, j’ai traversé les mêlées… Ce fut un miracle dont je glorifie le Seigneur-
    Tristan se signa et son geste surprit Tiercelet. Peut-être même eut-il pouvoir de l’agacer.
    – Je suis tombé parmi des corps privés de vie, et d’autres qui la perdaient avec les cris et gémissements que tu devines… J’étais si loin des emmêlements que j’ai pensé : «  Tu survivras… Fais le mort avec ton carreau ainsi planté : on se méprendra sur ton sort. » Y avait-il d’autres hommes vivants dans ce… charnier ? Je ne sais… En tout cas, lorsque l’obscurité fut venue, nul n’osait crier ni jupper 9 ni renommer aucune enseigne… Les Anglais allumèrent dans leur camp grand foison de falots et tortis, car la nuit était moult brune, et se mirent, comme à Crécy, à chercher des navrés pour les tuer. Ils avaient grande liesse au cœur, grand émoi quand ils voyaient l’un de nous remuer… Je me tenais aussi roide qu’un trépassé lorsqu’ils s’approchèrent… Un des leurs les aperçut et hurla au secours. Aussitôt, ils disparurent. Alors, dans la brouée, je suis parti jusqu’à Poitiers, trébuchant souventefois car les morts jonchaient le sol…
    – Et bien sûr, vous y êtes parvenu !
    Tiercelet de Chambly parlait sans moquerie. Et même, il semblait
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