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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais
Autoren: Pierre Naudin
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compatir. Les pensées de Tristan, un moment distraites, revinrent à cette nuit de sang et de malheur.
    – J’avais oublié le roi, l’oriflamme, mes compagnons assommés ou saignés… exterminés… J’ai atteint Poitiers… Les manants en avaient verrouillé les portes et je vis, au pied des murailles, des corps roides… J’ai su ainsi qu’au cours de la bataille, des Goddons avaient poursuivi nos fuyards jusque-là pour les occire… sans que les chevaliers et manants clos dans la cité eussent osé les secourir !
    – C’est que neuf ou dix ans plus tôt, je crois, Derby avait envahi la ville avec ses hommes… Viols, pillage, feu et cendre… Ces Poitevins, je les comprends !
    –  Une défaillance me prit. La Providence me fît choir sur le flanc, sans peser sur le fer fiché dans mon corps. Et je ne bougeai plus… J’avais mal !… Ainsi couché, je vis un homme s’approcher… Il ployait sous un sac…
    – Un dépouilleur.
    – J’ai dû remuer ; il se précipita… Sa croustille gluait, noire de sang… C’était un soudoyer de chez nous !
    – Il y a des saligots partout !
    – Il me dit : « Tu vas mourir ! » et parut hésiter : « Quel est ton âge ? » Et je lui dis avec ce qu’il me restait de force : « Seize ans… La male mort ne saurait m’effrayer. » Il passa… Et même il s’éloigna à grandes enjambées ! Le lendemain, à l’aube, une main me toucha, une voix s’écria : « Il est vivant ! » C’était un moine de Montierneuf, et c’est ainsi que je fus sauvé.
    – Et après ?
    – Sans importance…
    Tristan mentait outrancièrement. Tandis qu’il traversait la cité, soutenu par deux clercs charitables, les Poitevins l’avaient hué autant qu’un criminel. Des hommes lui avaient craché au visage ; des femmes, des pucelles lui avaient montré le poing et des jouvenceaux, sans souci de ses bienfaiteurs qu’ils atteignaient parfois, ne lui avaient ménagé ni les pierres ni les ordures. Oui, Tiercelet avait raison : tous ces gens avaient souffert des Goddons quand le comte de Derby et ses guerriers s’étaient rués dans la ville. Il connaissait donc, pour l’avoir éprouvée, l’aversion du manant envers le prud’homme, et sa violence quand l’adversité plaçait celui-ci, vaincu, recru de lassitude et de vergogne, à sa merci.
    En sécurité dans la cellule de Montierneuf, l’idée lui était venue d’abandonner les armes pour les Evangiles.
    Frère Benoît, le prieur, lui avait conseillé de se rendre à Fontevrault. «  Que les Plantagenets y soient ensépulturés ne vous fera nulle peine, mon fils : leurs gisants n’ont rien de menaçant ! » Il avait mis cinq ans à s’apercevoir que les habits de fer lui seyaient mieux que le froc de bure ; que ses rêves n’avaient jamais cessé d’être irréligieux et que la tempérance corporelle à laquelle il devait s’astreindre lui devenait insupportable. Devant la statue même de Robert d’Arbrissel 10 , il s’était confessé à Simon de Langres, maître général des Frères Prêcheurs, de passage en l’abbaye. Le saint homme l’avait incité à se laisser aller à sa vraie nature : un hardi chevalier doublé d’un bon époux valait mieux qu’un mauvais moine.
    – Jamais je n’aurais pu imaginer, Tiercelet, qu’une aussi grand’foison de guerriers subirait une telle défaite, bien que mon père m’eût assuré maintes fois que les pires ennemis du royaume pouvaient être, au lieu des Goddons, nos maréchaux et leur jactance, nos capitaines et leur présomption, et le roi quel qu’il soit, hautain, sot et hutin !
    – Il parlait sagement !
    – Il était à Crécy. C’est là qu’il a perdu son humeur bataillarde.
    Tristan haussa une épaule et songea : « Il se peut qu’il soit mort de vieillesse ou d’amour, comme feu Philippe le Sixième 11 . En ce cas, Castelreng est à l’abandon, mais je n’irai pas m’en assurer : ce qui est clos est clos. » Il soupira. Jamais, au cours de ce trimestre de réclusion, il n’avait évoqué le défunt roi de France. Jamais il n’avait songé à confronter la passion du vert baron de Castelreng à celle du monarque décédé. Pourtant, au lieu que ce fut lui, Tristan, c’était Thoumelin, son père, qui avait mené Aliénor Assalit à l’autel. De sang bouillant comme Perrette Darnichot et Belle-Sagesse, la seconde et brève reine de France, il se pouvait que cette jolie donzelle eût conduit
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