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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais
Autoren: Pierre Naudin
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reçu commandement de se rendre en ce duché afin de commencer lentement à en « prendre et recevoir, au nom du roi Jean, la possession et saisine ». Des routiers dévastaient le pays de France. Dans les conditions difficiles où s’effectuerait le voyage, Tancarville avait décidé d’emmener avec lui une grosse compagnie de gens d’armes. On avait même affirmé que l’Archiprêtre Arnaud de Cervole et ses lances, en venant hourder 4 cette armée, aideraient à la constitution d’une force capable d’inspirer crainte et respect à toute la truandaille ; or, ils ne s’étaient pas montrés. Leur absence n’avait ébahi personne.
    « J’en fus heureux, songea Tristan. À Poitiers-Maupertuis, l’Archiprêtre s’est bien gardé d’entrer profondément dans la mêlée, comme l’exigeait ou son devoir ou cette vaillance dont il s’enorgueillissait avant la bataille. Quant aux prouesses qu’il accomplit par la suite, elles sont, en vérité, des plus laides, puisqu’il s’est conduit en Berry et Nivernais comme un truand sans pareil !… Serais-je donc le seul à avoir deviné que son retour à la Couronne n’est qu’une astuce ?… Je jurerais qu’il compte en tirer considération et profit… Comment ai-je pu être assez fou pour m’engager dans la suite de Tancarville et chevaucher vers la Bourgogne ?… Le chambellan semble abhorrer ma jeunesse… Il est vrai que je déteste sa présomption ! »
    Dès leur arrivée à Dijon, usant des pleins pouvoirs dont le roi l’avait investi, Tancarville avait mis la main sur un gouvernement qui, prétendait-il, menait le pays à la ruine. Il en avait confié la direction à des notables sûrs, choisis parmi les conseillers du défunt duc, auxquels il avait adjoint deux tabellions et, surtout, deux conseillers du roi : Guy de Saint-Sépulcre, doyen de l’église de Troyes, et Nicolas Braque. Jean de Boulogne, comte de Montfort, leur avait apporté son aide. Ils avaient immédiatement pris les mesures nécessaires pour que le roi ne fût pas inquiété lors de sa venue sur les lieux, et prescrit aux châtelains les précautions à observer envers les routiers 5 . Parti de Paris le 5 décembre, le souverain avait chevauché prudemment, suivi de loin par ses conseillers : Jean Chalemart, maître des requêtes en son hôtel, et Jean Blanchet, clerc et secrétaire. Arrivé à Auxerre le 17 décembre, il y avait séjourné jusqu’au lendemain soir, le temps d’installer Jean Germain, prélat dévoué à la France, à l’évêché. Le reste de son séjour, il l’avait passé auprès de Jean III de Chalon-Auxerre, lui aussi revenu d’An gleterre, mais définitivement 6 , après une longue captivité ; si mal en point qu’il ne gardait nulle souvenance de la bataille à la suite de laquelle un parti de Goddons l’avait fait prisonnier. Bien qu’âgé de quarante-cinq ans, le comte était un vieillard égrotant, vivant sous la complète obédience d’une roturière de bas étage, selon les médisants : cette Perrette Darnichot qu’il avait épousée au mépris des convenances – comme Thoumelin de Castelreng et Aliénor Assalit –, et à laquelle il avait fait deux filles du temps où il était encore capable de forniquer.
    « Deux belles filles… Les bâtardes sont souvent jolies 7 . »
    À la réception donnée en l’honneur du roi, dame Perrette, visiblement sevrée de plaisirs charnels, l’avait poussé dans une encoignure : « Vous me faites envie, messire Tristan. Où passerez-vous la nuit ? Ma demeure vous est ouverte. » Jetant un regard sur le malingre Jean III affalé, repu de vin, dans un faudesteuil, il avait pris la belle à rebrousse-poil sans nulle intention, d’ailleurs, de l’offenser. Il coucherait à l’hôtel de ville où, comme chacun de ses pairs, il disposait d’une chambre. Il n’était point enclin à changer de logis. Laissant l’audacieuse à sa déconvenue, il s’était senti épié par un écuyer auquel son hôtesse avait susurré quelque recommandation dont maintenant, il concevait l’importance. Trois fois cette effrontée l’avait sollicité, arguant qu’elle était accueillante et qu’il ne pouvait imaginer ce qu’il perdrait en restant ferme dans son dessein de dormir parmi des hommes puant le crottin et la graisse d’armes. Elle cillait des paupières sur des yeux d’un azur si transparent qu’il y voyait, mêlée à une colère de moins en moins refrénée, une lubricité sans doute
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