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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais
Autoren: Pierre Naudin
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insatiable – et par là même dangereuse. « N’êtes-vous point libre, chevalier ? – Si, damoiselle. » En deux mots, simplement, il l’avait offensée. En effet, la coutume exigeait qu’on appelât dame toute jouvencelle ou femme de la noblesse, le damoiselle étant réservé aux créatures du commun. « Savez-vous, messire Castelreng, que je peux me venger de votre irrespect ? » Elle exagérait : à dix lieues autour de Carcassonne, toutes les gentilfames eussent été honorées, rajeunies, par un tel compliment. Délaissant l’ombrageuse Perrette, il s’était entretenu avec une pucelle blonde, Colinette d’Egleny, et c’était après les avoir quittés, elle et ses parents, devant leur domicile, qu’on l’avait assailli et jeté dans ce maudit charreton. Toutes ses conjectures avaient abouti à Colinette. Il n’avait cessé de la pourvoir d’un fiancé jaloux de l’avoir vu coqueliner avec elle.
    – Vous plaît-il de savoir pourquoi la Perrette vous a engeôlé ?
    – Si cela te convient à toi de me le dire.
    – On raconte qu’ayant grand appétit de chair fraîche, elle garde quelques gars en réserve pour n’en point manquer lorsque l’envie de foutriquer la prend. Il se peut que vous soyez plusieurs en ces murs. J’ai vu, au fond de la cour, une maison à semblance de prison.
    – Es-tu conscient de ce que tu racontes ? C’est de la calomnie…
    – On rapporte aussi, dans une auberge toute proche, que ses ébattements achevés, la Darnichot fait périr ses amants : elle prétend rendre la justice en lieu et place de son époux. La pâmoison d’abord, la pendaison ensuite.
    – Quoique mariée à un noble, cette dame n’a aucun pouvoir de haute justice, et l’exercer en son manoir est une usurpation d’autorité qui, si quelqu’un la dénonçait, lui porterait un cruel préjudice ! Nulle femme, à commencer par la reine, n’a l’usage des privilèges conférés à son mari. Même courroucée par un vilain qui lui appartient par droit de fief, notre hôtesse doit s’abstenir des moindres sévices contre lui. Elle serait fermement châtiée si la preuve de ses crimes était établie.
    – À condition d’être dénoncée !… Supposons qu’elle vous fasse pendre. En retrouvant de vous, à dix lieues d’où nous sommes, votre corps nu, le visage martelé d’abord, dévoré par les porcs ensuite, qui pourrait deviner vos noms et qualité ?… Ah ! Vous ne dites mot… Acceptez ce conseil : si elle vous fait quérir avant que nous ayons déguerpi, votre seul moyen de demeurer en vie sera de résister à ses charmes. Si vous lui plaisez fort, elle vous fera remonter en attendant un jour meilleur.
    – Je ne crois guère à toutes tes sornettes !
    – Eh bien, par saint Léonard, patron des prisonniers, croyez à ceci : nous fuirons cette nuit par le trou des latrines que je vais maintenant agrandir. On tressera vos draps pour en faire une corde… Oh ! Je sais : vous y avez pensé… Quel est votre nom ?
    –  Tristan de Castelreng… en Langue d’Oc.
    – Et moi, Tiercelet de Chambly… J’ajoute aussitôt, messire, que je déteste les prud’hommes. Cependant, puisque vous êtes emmuré comme un malandrin, j’en conclus que vous différez de vos pairs et suis prêt à vous tenir pour un compagnon loyal.
    – Je t’en sais bon gré.
    – Vous n’avez rien non plus d’une femmelette !
    Agacé par ces égratignures, Tristan décida de se regimber, faute de quoi, malgré sa révérence affirmée par le voussoiement, ce huron le traiterait ainsi qu’un chevalier de Cour, voire un de ces dénaturés accointés jadis au trop fameux Charles d’Espagne dont les mœurs efféminées se perpétuaient. Le roi avait pleuré le trépas de son connétable davantage que celui de Bonne, son épouse, qu’il avait remplacée en hâte 8 .
    –  Messire, votre estomac gargouille.
    – C’est vrai… Je crains que ces coquins ne nous fassent jeûner !
    Tristan s’approcha de Tiercelet dont un rire entrouvrait la bouche. Il lui manquait des dents – cinq ou six, certainement cassées à coups de pierre ou de marteau : c’était la coutume dans les batailles entre gens de truanderie. Non, jamais ce rou tier ne deviendrait un compagnon acceptable s’ils parvenaient à s’évader.
    – La journée va nous paraître longue, messire. Si nous ne parlons pas, nous aurons nos nerfs, ce qui sera néfaste à notre accointance… Parlez ! Vous devez en
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