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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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ne sait plus qui salue qui. Autre constatation plaisante : le Front populaire porte déjà le chapeau. Paul Reynaud lui, n’en a pas besoin, il arbore dignement un crâne bandé, conséquence de l’accident de voiture dont il vient d’être victime. « Le pauvre ! » disent ses amis ; ce à quoi ses ennemis répliquent : « Il ne risque pas de perdre la tête, c’est fait depuis longtemps. » Sanglé de neuf, fin prêt pour la Troisième Guerre mondiale, voilà Weygand qui passe, pressé, raide. Il vient de chausser des bottes qui ne lui vont pas.
    Sous un chêne – est-ce un chêne ? Après tout, je n’en sais rien – dans le parc de l’Hôtel du Parc, le nonce apostolique improvise un confessionnal en plein vent. À Vichy, le sabre et le goupillon sont du même côté du manche. On ne pataugera pas longtemps dans les bénitiers.
    Au bras de M. Paul Baudouin, notre ministre des Affaires étrangères, M. l’ambassadeur d’Espagne promène son ventre de dindon décoré d’or et de pourpre. Homme de lettres par excellence, il connaît par cœur, me dit-on, les poèmes de Garcia Lorca. Il est le seul, l’information est donc contestable.
    Je distingue parfaitement, dans cette foule grise, un bouquet de cerises dans les cheveux de Lucienne Boyer. Elle porte une robe chic de Jeanne Lanvin. Son mari, Jacques Pills, est prisonnier. Elle veut voir le maréchal. Elle se heurte à des soldats en armes qui ne la reconnaissent pas.
    François vole à son secours. On se souvient qu’il fut amoureux d’elle. Il lui promet d’intervenir. À cent cinquante mètres de moi, je sais que mon cher Berl explique à mon cher Drieu « que tout va mal, tout va très mal, tout ira de plus en plus mal ». Ils souhaitaient se réconcilier. C’est raté, ils se fâchent une fois pour toutes. Marcel Déat exulte : la révolution nationale est en marche, et rien ne l’arrêtera, hurle-t-il.
    En fait de révolution, c’est plutôt le bordel, me confie fort à propos l’actrice Lisette Vernet que personne ne connaît, à part moi, vu qu’elle n’a pas tourné le moindre film, ni joué dans aucune pièce de théâtre. Le soir même, nous l’avons abritée dans la chambre aux murs roses légèrement décolorés que nous partagions François et moi à l’hôtel des Curistes.
    Le médecin-commandant qui m’a réformé est là, lui aussi. D’ailleurs tout le monde est là… ou dans les parages.
    — Ça va pote ?
    — Ça va mon commandant.
    Des banalités en somme.
    M. Abel Bonnard de l’Académie française, la seule dame du quai Conti (ce mot d’esprit datait d’avant-guerre, il m’amuse toujours), jette des regards langoureux sur les bras nus de Jean-Pierre Aumont, acteur de son état. Ils sont assis à une table devant moi.
    — Mon jeune ami.
    — Oui maître.
    — Mon jeune ami, dans la France de demain les foules vous acclameront.
    — Merci maître.
    — Vous entrerez au dictionnaire, je m’en chargerai.
    — C’est trop d’honneur, maître.
    Il ne convient pas de tirer des conclusions hâtives de ce bref dialogue.
    La foule tangue et s’écarte. Le diable arrive, le diable est là. Que voit-il derrière ses lunettes cerclées de fines montures d’or ? Chacun s’interroge. Léon Blum marche les mains jointes dans le dos. Digne. Le malheur lui va bien.
    Je m’apitoyais. J’ai tendance à m’apitoyer devant les rois déchus, mais je m’intéresse aussi aux anonymes. Qui, à part moi, se soucie de Maxence Bibié, André Cointreau, Dutertre de la Coudre, Thureau Dangin de Tinguy du Pouet, Paul Fleurot, François de Saint-Just ? Ces noms, quand je les évoque, ajoutent encore à ma nostalgie naturelle.
    François courait de gauche à droite. Pour lui, rien n’a changé, pour moi non plus. Je tenais, précieusement rangée entre les pages d’un livre, une lettre destinée à M me  veuve Carlos Gardel. Je comptais bien la remettre en main propre à l’ambassadeur d’Argentine à Vichy. Ambassadeur qui, d’ailleurs n’était attendu par personne. J’étais bien le seul à m’impatienter. Je pensais naïvement que la voie diplomatique ne me serait pas refusée pour maman, veuve d’une gloire nationale.
    Cet espoir me réconfortait ; à part cela rien.
    Pour seconder ma mémoire, je remplissais d’anecdotes des carnets Dubonnet. J’avais renoncé tout à fait à poursuivre ma thèse sur Dreyfus ou le Mystère romantique  ; l’actrice Lisette Vernet, qui vivait maintenant avec
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