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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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gratuitement quatre matins de suite dans les rues de la bonne ville de Vichy, par quelques anciens combattants de 14-18 au teint frais. Hélas, elles n’étaient pas signées. Longtemps je m’en suis attribué la paternité.
    C’est vrai, j’étais très séduisant, il n’y a pas de doute à cela…
    Comme Lisette, une mèche de cheveux blond doré me tombait sur le nez. Je portais de larges pantalons de drap clair, des chemises bouffantes sans col, de coton beige. Autour du cou, négligemment noué, un foulard de soie terre de Sienne brûlée ajoutait une note de fantaisie à ma tenue classique. J’avais l’allure distinguée des fils de famille qui savent se tenir à table et baiser la main des dames sans leur mouiller les doigts.
    On disait de moi : « Il est charmant, vous ne trouvez pas ? » J’avais tous les droits sauf celui d’être triste. On me voulait mondain et primesautier. L’idée que les autres se faisaient de moi m’étonnait. Je ne me ressemblais pas. J’étais gai par pudeur, charmant par habitude. Je racontais des histoires formidables pleines de secrets misérables et je concluais toujours par ces mots simples mais qui portent immanquablement : « Ça ne s’invente pas ! »
    Mes origines, mes relations, la position de François me conféraient une autorité dont je profitais pour abuser mon auditoire émerveillé. Je n’étais pas mythomane. J’étais menteur par politesse.
    On ne m’en demandait pas plus.
    J’ai été à Vichy, durant quelques semaines, le témoin attentif d’événements majeurs dont dépendait l’avenir du monde. Je n’étais pas le seul. J’ai dit la foule qui y grouillait dans un périmètre singulièrement réduit par les troupes d’occupation… Eh bien ! Curieusement, quand je compare mes souvenirs à ceux d’autres, je ne peux pas m’empêcher de constater qu’ils n’ont rien de commun.
    Je crois l’anecdote et le détail plus significatifs. Je n’ai trouvé nulle part la trace du paquet de Craven de Pierre Laval, ni celle du bouquet de cerises dans les cheveux de Lucienne Boyer. Nous ne sommes sûrement plus nombreux à nous souvenir de « La Féria », la maison close de la rue Drichon, près de la gare, où Lucienne Boyer, passa sa première nuit vichyssoise faute d’avoir trouvé une chambre plus convenable. Il y avait des glaces au plafond, un linoléum bordeaux, recouvert de chaque côté du lit de peaux de chèvres usées et, posées sur un cosy d’acajou, deux lampes en opaline qui éclairaient décemment des ébats tarifés.
    C’était la chambre chic de « La Féria ». Je peux établir une comparaison pour avoir aussi fréquenté les autres. L’intérêt que je porte à ce genre d’endroit, je le tiens de feu M. le comte, mon grand-père.
    Les femmes qu’on y rencontre ne posent pas de questions, et ne s’étonnent de rien.
    On peut se dispenser de leur faire la cour, elles s’en moquent. Le prix fixé d’avance est un baromètre plus éloquent qu’un discours.
    J’aime les bordels parce qu’ils excluent ces « vraies jeunes filles » comme on disait à l’époque – qui me font horreur. On n’a pas été reconnaissant avec les pensionnaires de « La Féria », j’ai le cœur serré quand j’y pense. Mises au banc d’infamie, beaucoup sont mortes de chagrin. On a osé leur reprocher de n’avoir pas fait de différence entre les bons et les méchants. Mais comment pouvaient-elles savoir ? D’ailleurs qui savait ? Elles travaillaient dans l’amour, honnêtement, comme d’autres dans la chaussure, un point c’est tout.
    Qu’avez-vous à déclarer pour votre défense, mademoiselle ?
    — J’ai à déclarer, monsieur le président, qu’en slip, les hommes n’ont qu’une idée en tête, une seule, c’est celle-là que pendant vingt ans ils ont exprimée devant moi et l’appel du 18 juin 1940 n’y a rien changé. Désolée monsieur le président !
    Je n’ai pas pu m’empêcher de me lever et d’applaudir. Comme au théâtre. En se rasseyant, la Rose-Marie, qui était dans le box et que je ne connaissais pas, m’a salué, contente d’elle. Son avocat n’était peut-être pas pour rien dans la tirade qu’elle venait de lancer crânement d’une voix légèrement grasse, mais elle avait été grandiose.
    Je crois me souvenir qu’elle fut acquittée.
    J’allais à « La Féria » environ deux fois par semaine pour ma santé. Lisette s’en amusait gentiment. Elle m’en
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