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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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aurait voulu si elle avait appris que j’y entraînais François de temps en temps. Seulement pour le plaisir de partager un secret avec lui.
    — Que cela reste entre nous, me disait-il.
    Mais entre lui et moi, je le pressentais, quelque chose allait changer.
    Au fil des jours, Lisette apprenait à lui être indispensable, elle choisissait ses cravates, repassait ses chemises, et mon François s’apprêtait à lui devenir fidèle. J’étais de trop. Je l’ai senti à des petits riens qui rendent indécent le bonheur des autres aux yeux de celui qui croit n’y avoir pas droit. J’étais celui-là.
    Je suis parti sans prévenir le matin du 14 juillet tandis qu’ils assistaient aux cérémonies officielles. Sans doute n’ont-ils remarqué mon absence que le lendemain et souligné simplement que j’aurais pu au moins, leur dire « au revoir ». Peut-être François m’a-t-il excusé auprès de sa future épouse.
    Peut-être se sont-ils interrogés sur mon destin. La secrétaire de l’ambassade d’Argentine m’avait expliqué avec beaucoup de douceur que M. l’ambassadeur, très occupé, ne pourrait pas me recevoir. Qu’elle se ferait un devoir de lui remettre ma lettre. Qu’elle comprenait mon problème. Je voyais bien qu’elle était émue, en m’écoutant lui raconter ma vie.
    — Laissez-moi votre adresse et surtout ne vous inquiétez pas, une femme aussi célèbre que votre maman, nos services doivent la retrouver. Bonne chance, monsieur…
    Elle m’a dit cela sans écorcher les R malgré son accent espagnol. En chantant presque…
    J’ai quitté Vichy le cœur non pas léger mais moins lourd. Dans le train, j’ai engagé une conversation très intéressante sur Goethe (que je n’avais pas lu) avec un officier allemand très cultivé.

4
    Tandis que nous arrivions gare de Lyon, je m’interrogeais. Paris est occupé, peut-être mon appartement de l’avenue Rachel l’est-il encore par Simone et son colonel. Que vais-je faire ?
    En débarquant, ma surprise fut grande. Jamais l’ex-capitale ne m’avait paru plus vide, plus calme. Aussitôt, je m’y trouvai aussi bien qu’à Genève ou à Bellac, en harmonie avec l’apparente sérénité des lieux. En marchant, j’écoutais résonner mon pas. Je me disais : la guerre a de bons côtés quand même. Normalement, j’aurais dû penser à mes compatriotes prisonniers, à ceux qui avaient faim et froid. Mais qui pensait à moi ? Qui même, de loin, se demandait avec angoisse où j’étais, ce que je devenais ? Je suis rentré à pied, lentement. La nuit tombe tard en été. Si j’avais pu siffler, je l’aurais fait, pas fort ni gaiement, bien sûr, mais doucement pour m’obliger à la désinvolture.
    J’étais déjà bien engagé sur le boulevard Beaumarchais lorsque je me suis aperçu que j’avais oublié ma valise en cuir roux et mon sac de sport assorti. Fallait-il que je fasse demi-tour ? Non, mes bagages ne contenaient rien qui puisse me manquer. Rien à quoi je tienne vraiment. Mon chandail beige, éventuellement.
    Tout en continuant ma route je tâtais machinalement la poche intérieure de ma veste en toile pour me rassurer. C’est là que je rangeais mon journal Dubonnet… ma mémoire en morceaux. Le sentir là sur ma poitrine suffisait à me tenir chaud. Je me suis mis à marcher plus vite. Il me restait la place de la République à traverser, le boulevard de Magenta et celui de Clichy à remonter.
    Je fus saisi d’une forte émotion en croisant une colonne de soldats alignés botte à botte, pareils à ceux que Drieu m’avait fait acclamer à Berlin. Je prenais du plaisir, je ne le cache pas, à me sentir libre dans une ville occupée. Il était près de vingt heures, heure allemande. Cela non plus ne me dérangeait pas.
    Même en temps ordinaire, Pélagie Pontin n’éclairait sa loge qu’à la nuit tombée. J’aurais dû m’en souvenir. Cela m’aurait évité d’avoir peur à l’idée qu’elle puisse ne pas être là. Grosse et rassurante comme avant la guerre, prête à s’occuper de moi. Un instant j’ai envisagé sa mort avec effroi. Et mes clefs ? Si elle est morte, où a-t-elle pu mettre mes clefs ?
    J’ai bien laissé passer trois minutes avant de frapper aux carreaux.
    Penchée sur la T.S.F., Pélagie écoutait une chanson triste que diffusait Radio-Paris. J’ai pu en apprécier les dernières mesures, quand elle m’a ouvert enfin, après avoir soulevé un coin de son rideau.
    Elle ne
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