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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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toujours.
    J’avais eu tort de me choquer la veille au soir. Elle voulait sans doute se faire belle pour nos retrouvailles.
    Peut-être qu’elle m’aimait un peu et, qui sait, peut-être avait-elle envie de coucher avec moi ?
    Cette deuxième hypothèse m’a d’abord amusé. J’eus ensuite honte de l’avoir envisagée. C’était une journée qui commençait bien. Le soleil éclaboussait le marbre gris et noir des tombes des familles riches.
    Je n’avais plus qu’à m’organiser une vie. Il faut que je sois tout à fait sincère, ce ne fut pas facile.
    Je ne voyais pas très bien ce que je pouvais devenir. En ordonnant les livres et les vieux journaux entassés au pied de mon bureau, je me souvenais avec émotion au temps pas si lointain où je prétendais naturellement aux titres de comte et de poète.
    J’avais une fâcheuse tendance à me pencher sur moi avec complaisance.
    Dans la loge de Pélagie rien n’avait changé. Rien n’avait bougé. La photo de Jean Gabin était toujours à la même place, un peu décolorée, c’est tout.
    Sur la table cirée à damier rouge et blanc des mouches s’épuisaient.
    C’était l’été. C’était la guerre.
    — Faudrait être patient, me dit Pélagie. Le courrier marche très mal ! Les locataires se plaignent mais vous savez par les temps qui courent…
    Elle disait : « Par les temps qui courent », avec résignation, l’air de dire : « Que voulez-vous que j’y fasse ? »
    Je prenais un certain plaisir à l’entendre raisonner simplement.
    — Les enterrements ne sont plus ce qu’ils étaient. Il ne fait pas bon mourir aujourd’hui. Vous savez par les temps qui courent ! Les familles sont dispersées. Chacun pense d’abord à soi… Alors les pauvres morts !
    Généralement, j’acquiesçais à tous ses propos, soit d’un hochement de tête, soit d’un « eh oui, hélas ! » qui se voulait compatissant.
    En l’écoutant, il m’arrivait parfois de réfléchir tristement à sa mort. Elle ne semblait pas y songer. Celle des autres la préoccupait trop.
    À part moi, je me demandais qui suivrait sa dépouille mortelle ? J’avais pris la décision de rentrer d’Argentine si j’étais prévenu à temps.
    L’âme vague, je feuilletais machinalement des magazines féminins d’avant la guerre. Elle s’en servait l’hiver pour allumer son poêle à charbon.
    Je m’intéressais longuement aux diverses publicités de maquillage et de produits d’entretien, les échos futiles aussi attiraient mon attention. Les journaux démodés ont une saveur que n’ont pas ceux du jour. Ils sont moins dérangeants. Leur lecture est significative. Elle remet les événements à leur juste place.
    Pélagie m’entretenait gravement de problèmes sans importance auxquels j’accordais un intérêt soutenu. Elle occupait de son mieux le vide qui m’entourait. Nous nous tenions compagnie mutuellement. Je n’avais qu’elle. Elle n’avait que moi.
    Le commissaire de police du IX e  arrondissement m’avait délivré un permis de circuler la nuit. En toutes circonstances, je trouvais le moyen de m’arranger avec les autorités. J’avais une manière un peu supérieure mais courtoise de m’adresser aux représentants de la loi. Ce qui me permettait d’obtenir comme un dû des avantages auxquels je n’avais pas plus droit qu’un autre. Un héritage de feu M. le comte, sans doute.
    Je prenais un vif plaisir à m’attarder certains soirs au « Paradise », 16 rue Fontaine, à deux pas de chez moi. Je m’y rendais à pied, généralement vers onze heures. C’était un cabaret scintillant. Fréquenté par des gaillards de l’armée allemande en goguette. Ils ne doivent pas s’en souvenir sans nostalgie. Pensez, ils avaient vingt ans pour la plupart !
    Je m’asseyais sur un haut tabouret recouvert de cuir noir, au bout du bar, assez près de la scène, et placé de telle sorte que rien de ce qui se passait dans la salle ne m’échappait.
    J’apercevais même entre deux pans de rideaux rouge et or l’agitation qui régnait en coulisse. Je voyais des filles l’air mauvais se crêper les cheveux quelques secondes avant d’apparaître souriantes à un public en uniforme.
    Les jambes croisées sur mon tabouret, un whisky à la main, j’entrevoyais l’envers du décor. Ces artistes à deux sous qui défilaient le ventre nu, comme elles étaient belles et misérables ! On pouvait leur pincer les fesses pour un bouchon
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