Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
Vom Netzwerk:
nous, m’avait par trop découragé. Elle prenait Alfred pour un producteur de cinéma.
    C’est avec Lisette que je passais le plus clair de mon temps, soit en ville, soit sur une chaise longue dans le jardin de l’hôtel des Curistes, en tout bien tout honneur, je le précise.
    Afin que je ne me méprenne pas, elle m’avait fixé ses intentions de manière typiquement féminine, en me présentant comme son gentil petit cousin. Elle anticipait seulement de quelques semaines.
    François l’a épousée le 13 décembre 1940, date on ne peut plus mal choisie quand on sait que, ce jour-là, le président du Conseil, qui fumait des Craven, fut arrêté par la police d’un gouvernement dont il était le chef. Voilà qui explique assez le silence qui entoura l’émouvante cérémonie du mariage d’un député socialiste de la Haute-Vienne et d’une actrice qui préféra l’amour au septième art.
    De ma cousine Lisette je pourrais parler des heures sans me lasser. Elle était la vie même, et son rire ne parvenait pas à cacher les larmes mêlées à son enfance. Je l’ai vue pleurer de bonheur au cou de François, surprise d’être heureuse pour la première fois à trente-trois ans. Je dis trente-trois par courtoisie, elle en avait au moins trente-six ou trente-sept. Un tube de fond de teint n o  3 de Max Factor ne quittait pas son sac à main. Ce n’était plus une jeune fille, et je l’aimais pour ça. Elle disait comme disent les femmes : « La politique, moi je n’y comprends rien… »
    Elle lisait Marie-Claire en se laquant les ongles des pieds avec application. Elle n’était pas intelligente mais elle avait du cœur. Le malheur rend bon. Lisette avait été très malheureuse et moi, le malheur, ça m’impressionne, ça m’inspire, ça me touche.
    Pour me faire plaisir, Lisette cernait ses yeux d’une poudre bleu pâle, et laissait traîner sur sa joue droite une épaisse mèche de ses cheveux blond cendré (bien après, Veronica Lake l’a imitée avec succès).
    Elle rêvait d’Hollywood. Les mots Metro-Goldwyn-Mayer, sunlights et travelling suffisaient à l’émouvoir. C’est vrai, elle aurait été inoubliable, l’oreille collée à un téléphone blanc, alanguie sur un canapé recouvert de fourrures blanches dans le salon de son manoir gothique de Beverly Hills : « Tell me again, I love you baby. »
    Elle avait échoué dans une station thermale du centre de la France, pleine de gens malades du foie et Humphrey Bogart n’était pas au rendez-vous. Elle était montée à Vichy dans les bagages d’un haut fonctionnaire qui lui avait offert le voyage en guise de cadeau de rupture.
    Avec Lisette, je m’entendais bien. Silencieuse quand je souhaitais me taire, enjouée quand j’étais triste. Elle était mon amie. Allez savoir pourquoi j’ai failli souvent l’appeler maman ! Par dérision peut-être. Heureusement que je ne l’ai pas fait, je l’aurais peinée inutilement. Les femmes n’aiment pas que l’on s’attendrisse sur leurs rides.
    Si elle m’y avait invité, c’est sur moi que je me serais attendri.
    Mais les femmes n’écoutent pas, certaines ne se donnent même pas la peine de faire semblant.
    L’été se précisait dans les yeux bleus du maréchal. Pour ces beaux yeux-là Marianne faisait le trottoir vivement encouragée par 568 de ses anciens amants. Bon prince, le maréchal qui n’aimait pas voir traîner une fille à tout le monde sur le pas de sa porte la fit monter et la coucha dans son lit. On dit même… Mais je ne tenais pas la chandelle. L’a-t-il ou ne l’a-t-il pas violée ? Si oui, elle était consentante et quand elle a commencé à crier au secours, il était un peu tard pour se refaire une vertu.
    « Marianne entretenait une bande de maquereaux. Un homme vient de la sauver… et quel homme. Si elle sait se montrer humble et repentante à l’office, le dos voûté, les genoux serrés, elle pourra attendre l’heure du jugement dernier, mais si elle bouge, alors qu’on la fusille correctement. »
    Ces propos virils auraient mérité de passer à la postérité. Leur qualité littéraire m’enchanta aussitôt. Qu’ils m’obligeassent à compter François parmi les maquereaux ne me choqua pas. J’y voyais la marque de la démesure qui sied aux pamphlétaires de tous poils.
    J’aurais souhaité témoigner de mon admiration à l’auteur de ces lignes audacieuses, parues dans une feuille intitulée : La Nouvelle France, distribuée
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher