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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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c’est meilleur encore, disait ma tante, rassurée par la sérénité du vieux chef étoilé, qui saura nous protéger, lui…
    François le croyait. Il mettait son poing dans sa poche une fois pour toutes, et ses idées par-dessus, mais ça l’inquiétait toujours de penser comme sa mère. Il me l’a dit en dégustant de l’eau-de-vie pour digérer, et se reprenant, il a ajouté :
    — Après tout, c’est peut-être un bon signe.
    — Mais oui, François, c’est bon signe.
    J’aurais tellement voulu penser comme ma mère ! L’entendre me dire : « Serrons-nous, mon fils, autour d’un pâté de pommes de terre chaud. À cinq ans, tu avais du caractère et de la personnalité comme ton père. Ton pauvre père, un saint homme que j’ai beaucoup aimé… »
    J’aurais aimé l’entendre m’expliquer la vie avec un début et une fin, m’aider à tourner les pages du livre, à revenir en arrière pour mieux comprendre… la regarder mettre sa robe claire du dimanche et vieillir sans tricher… calmement dans ses yeux… Me faire des souvenirs sur des chevaux de bois et me laisser grandir avec de l’encre aux doigts.
    Elle m’aurait dit :
    « Va mon garçon, n’aie pas peur, ça ira. » Elle m’aurait dit : « Les femmes ne me ressemblent pas, ne leur fais pas jouer tous les rôles à la fois ». Elle m’aurait dit les mots qu’on dit dans ces cas-là.
    J’avais le cœur barbouillé, pas seulement à cause du fauteuil à bascule sur lequel je me balançais. Face à moi, François s’interrogeait. À chacun son désastre. Le sien pouvait se dire, se partager. Le mien était indicible. Il ne m’avait pas entendu penser tout bas.
    — À quelque chose malheur est bon. Je vois le début de la réconciliation nationale.
    Moi, je ne voyais rien. Valentine qui nous servait du café trancha :
    — Tout cela finira par une guerre civile…
    — Pessimiste grand-mère ? lui demanda son petit-fils aîné, en m’adressant un clin d’œil complice.
    Elle accepta le gentil « grand-mère » qu’elle ne pardonnait pas quinze ans auparavant.
    — Puisqu’un grand-père nous gouverne, une grand-mère peut donner son avis, non ?
    Après avoir dépoussiéré le vaisselier de chêne, et remis en place les photos de ses morts, la tante nous a rejoints. Je lui ai cédé le fauteuil à bascule et nous avons devisé tous les quatre.
    François voulait que je lui parle de Louis II de Bavière. Je l’ai fait avec force détails, de ces détails faux et qui font vrais.
    — C’est drôle quand même, disait ma tante. Alors ce roi est une femme ?… Alors ça, c’est le monde à l’envers.
    Elle disait souvent : « Alors, ça ! » pour s’exprimer.
    Valentine, des Louis II de Bavière, elle avait dû en voir beaucoup dans son existence. Évidemment, à Bellac, le modèle n’était pas courant. Mathilde était donc parfaitement en droit de s’étonner… Mathilde c’était le nom de ma tante.
    Dissimulé derrière les volutes d’un cigare suisse, François prenait plaisir, me semblait-il, à nous écouter. Je ne pouvais pas ne pas remarquer, aussi, qu’il souriait très légèrement, comme pour lui-même. Sans ironie.
    — Toi aussi mon garçon, hein, tu en as connu des gens bizarres à Paris, qui font des livres ou de la politique et des artistes. Elle disait « artisses », ma tante, du bout des lèvres. Valentine se contrôlait. Je voyais bien qu’elle se contrôlait pour ne pas ajouter :
    — Et des putes aussi, Mathilde, oui vous avez bien compris, des putes. Tenez moi, par exemple, qui fus et qui reste plus pute que comtesse.
    Heureusement, elle n’a pas dit cela Valentine. La vérité n’est jamais bonne à dire. La mère de François serait morte en suffoquant sous nos yeux. Alors ça… Alors ça… auraient été ses derniers mots. Mieux valait parler d’autre chose. J’ai dit :
    — Quelle belle journée ! Comme ça bêtement, car, bien sûr, chacun de nous s’en était aperçu.
    Elles ont pourtant un mérite ces constatations : celui de mettre tout le monde d’accord, et même, je peux en témoigner ici, d’éviter les drames de famille.
    Mathilde a sûrement décrété, à un moment donné :
    — Tous ces gens qui font des livres, c’est de la littérature, et puis c’est tout.
    Mais je ne peux pas le jurer. Ma mémoire, je vous l’ai dit, est capricieuse.
    Les dix premiers jours de l’été 1940, à Bellac, Haute-Vienne. Des jours comme je les aime,
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