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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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ouverte lentement, avec précaution, pour ne pas l’abîmer. J’ai lu :
    « Son Excellence M. Antonio Lopez Arrega, ambassadeur d’Argentine à Vichy, est désolé de ne pouvoir donner de suite heureuse à la demande de recherches que vous avez effectuée auprès de ses services.
    Le boulevard du Général Gomez Pardo indiqué comme étant l’adresse de madame votre mère n’existe pas à Buenos Aires. Après enquête, il semble que M. Carlos Gardel n’ait jamais été marié. Peut-être s’agit-il d’un homonyme, mais rien ne permet de l’affirmer.
    Nous vous retournons sous ce pli la lettre cachetée que vous nous aviez confiée.
    Des précisions s’avèrent nécessaires. Avec mes regrets, veuillez croire etc. »
    Pélagie n’avait pas remarqué le facteur. Je n’ai donc pas été obligé de lui donner des explications. Je n’avais plus envie de mentir.
    Je suis sorti. À la gare de l’Est, j’ai noté les horaires et les jours des trains pour Mâcon. J’eus envie brusquement d’aller arpenter mes vignes dans ce Beaujolais qui peut-être n’existait pas non plus. Voir mûrir mes raisins. C’était déjà un but.
    Avant de partir, c’est le vent sans doute qui m’a poussé avenue de Ségur.
    Le camion de déménagement était presque plein. Le décor de mon enfance s’y trouvait entassé méthodiquement.
    Valentine avait dû donner des ordres précis. Le gros déménageur qui consultait sa liste n’avait rien oublié.
    Je me suis présenté à lui, pas tellement sûr de moi, comme étant le petit-fils de la maison. Ça n’a pas eu l’air de l’intéresser énormément.
    — Parfait, m’a-t-il dit sans s’émouvoir, mais vous voyez, j’ai fini. Je vais maintenant – il a sorti un prospectus chiffonné de sa poche – Villa des Roses à Senlis. Mais vous le savez non ?
    En dissimulant ma stupeur, je lui ai souhaité bon voyage. Il m’a tendu la main poliment.
    — Au fait, il y a un mot sur le bureau, il fait partie des choses que je n’emmène pas. C’est sûrement pour vous.
    — Sûrement, merci.
    « Tout s’est décidé si vite que je n’ai pas pu te prévenir. Viens me voir. Je t’attends. Il faudra bien qu’on se parle. Je t’embrasse. » C’était signé : ta grand-mère.
    Ce que Valentine n’avait pas eu le courage de m’avouer de vive voix, je l’ai lu à la date du 16 octobre 1927 sur le journal intime de mon grand-père. Elle l’avait ouvert à la bonne page.
    « Ce matin, j’ai reconnu un enfant qui n’est pas de moi. C’est un garçon qui me ressemble un peu. C’est curieux mais c’est comme ça. Son père, un fier soldat je suppose, ne sera pas identifié. Il fait la guerre quelque part dans les tranchées. Au nom de la patrie il lui sera beaucoup pardonné. Quant à sa mère, je l’ai honorée dans le temps. C’est une belle de nuit qui aime trop la danse. Elle veut faire une carrière en Amérique du Sud. Il va me falloir une femme pour la remplacer. »
    Je n’ai pas eu besoin d’aller plus avant dans ma lecture. J’avais presque tout compris.
    Dans un train qui me conduisait à Mâcon, sur un dépliant publicitaire, en marge d’un texte ennuyeux qui vantait les mérites de produits agricoles, je me suis résumé en quelques lignes volontairement sèches, exemptes de toute sensiblerie, comme s’il s’était agi d’un étranger. C’est un début intéressant qui n’a pas de suite.
    Je suis, paraît-il, le fils d’un héros et d’une danseuse de tango, c’est feu le comte, mon grand-père, mort lui aussi pour la France, qui me l’a dit. Je n’ai pas d’autres preuves. Ma fiche d’état civil établit que j’aurai bientôt vingt-quatre ans. Est-ce tellement certain ? Les employés de mairie ne sont pas infaillibles. J’ai été élevé par une fausse grand-mère, de cela je suis sûr. Gentille mais fausse. Ce n’est pas sa faute. Pas la mienne non plus.
    J’ai grandi dans un appartement bourgeois du VII e  arrondissement de Paris, qui sentait le renfermé depuis la Révolution. J’ai sauté sur les genoux d’écrivains renommés. J’ai connu des chanteuses. Mes copains d’enfance n’allaient pas à l’école, ils m’ont appris beaucoup de choses que je n’ai pas bien retenues, mais pas à jouer au football ni aux billes. Ils étaient trop célèbres et trop pressés pour n’être qu’à moi. Certains m’ont prêté leur intelligence, d’autres leur cœur. Ce n’est pas si mal, mais c’est tout.
    Je
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