Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
Vom Netzwerk:
dans le ventre de ma mère.
    Dans cette maison où mes arrière-grands-pères étaient morts, où mon grand-père le comte avait régné avant de monter à Paris, où mon père avait grandi, où François avait appris à se révolter contre l’injustice, l’hypocrisie et la morale bourgeoise, je n’étais pas chez moi.
    Bellac s’assoupissait aux pieds du maréchal. Le Bon Dieu retenait son souffle respectueusement. Lui aussi consentait. Il faisait chaud. C’était l’après-midi du deuil national en France. Je m’inquiétais seulement de la couleur du ciel en Argentine. Du charme éternel de la province assoupie, je me méfiais. Pour que les fenêtres m’oublient, je suis entré à l’église. Mais personne ne pouvait rien pour moi et je ne pouvais rien pour personne.
    — Au fond, le François, c’est un bon petit.
    L’Émilie, elle a pleuré en écoutant son discours, d’ailleurs, tout le monde pleurait mais pas pour les mêmes raisons. Ce matin-là, sur le perron de la mairie, mon cousin, député socialiste de la Haute-Vienne, compromettait solennellement sa carrière politique. Persuadé du contraire, il entonna d’une voix ferme quelque chose comme :
    « Eh bien oui, nous avons perdu, j’en témoigne devant vous. Je reviens du front, et je sais moi… N’écoutez pas ceux qui vous invitent d’une T.S.F. d’outre-Manche à lutter ; ils vous envoient au sacrifice les mains nues.
    J’ai fait mon devoir, je parle sans honte. Il faut savoir tirer les conséquences d’une défaite sans renoncer à l’honneur. Reprenez le travail et la patrie renaîtra. Priez si vous croyez. Notre vieux pays a eu beaucoup de malheurs. Il s’est toujours relevé. Aujourd’hui, un chef s’impose, incontesté, auréolé d’un prestige immense. Il nous fait don de sa personne une seconde fois, c’est notre unique chance de salut. Qui, je le demande, qui osera refuser de l’aider ? Sans abandonner l’idée du socialisme qui plus que jamais m’anime, je remets la France aux mains du maréchal Pétain ; il n’en abusera pas, j’en réponds. »
    Applaudissements, bousculades, larmes…
    Tout était dit. François a descendu quelques marches, il a évité les regards tristes de quelques camarades. Il a serré des mains, embrassé chaleureusement l’Émilie et a plaisanté avec son instituteur ému par tant d’éloquence.
    — Tu m’as trouvé comment ? me demanda-t-il.
    — Lyrique comme d’habitude.
    — Non, me dit-il, raisonnable simplement, je n’avais pas le choix…
    L’Histoire dira : défaitiste. Les mots n’ont pas toujours le même sens à quatre ans d’intervalle.
    François venait d’encourager la fraternité des vaincus. Était-ce vraiment très socialiste ?
    — La fraternité, oui, me dit-il.
    L’Histoire dira : renoncement. L’Histoire ne s’embarrasse pas de si peu.
    Le lendemain matin, les journaux régionaux parleront de lucidité et de grandeur.
    « M. le député de Bellac a su trouver les phrases pour toucher au cœur nos compatriotes. Sa voix résonnera longtemps dans la campagne limousine comme un appel à la sagesse. »
    Ni Valentine, ni ma tante, la mère de M. le député de Bellac, n’étaient venues entendre François. Elles nous attendaient pour déjeuner.
    Dans la salle à manger, cirée, à l’ombre des volets entrebâillés, c’est la voix du maréchal qui s’élevait. Admirable son intemporel. Pétrifiée d’émotion, les mazagrans de porcelaine en suspens au bout des doigts, ma tante acquiesçait en silence.
    « Ce n’est pas moi qui vous bernerai par des paroles trompeuses. Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal. »
    Le Maréchal disait la même chose que l’Émilie.
    À la dérobade, je regardais François : livide, il encaissait. Il n’avait jamais menti. Il s’était trompé, peut-être…
    « La terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. »
    — Ça veut dire quoi exactement ? interrogea ma tante.
    — Ça veut dire que la guerre est finie pour l’instant et pour la France seulement.
    — C’est le principal, François ; tu sais les autres, ça ne sert à rien de s’en occuper.
    François préféra ne pas répondre. Il piqua le nez dans son assiette. On ne peut avoir honte de sa mère. Valentine leva les yeux vers moi, l’air de dire : « En deuil ou pas, à midi, la France passe à table. »
    Le pâté de pommes de terre sentait bon.
    — Avec un peu de salade du jardin de ton pauvre père,
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher