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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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si semblables les uns aux autres qu’on les dirait ordonnés par Dieu pour l’éternité. Des heures où rien n’est décisif, des heures calmes, agrémentées seulement de clafoutis tièdes. On s’habitue vite aux bonheurs tranquillisants des sous-préfectures. Moi surtout : à vingt-deux ans, c’est curieux. On me le disait. Qui on ? François, bien sûr. J’ai toujours eu tendance à croire François. Il partait pour Vichy.
    — C’est là-bas que cela se passe, me dit-il, tu viens…
    Une ville d’eau où des vieillards écrivent l’Histoire accroupis sur des bidets, ça vaut bien un détour !
    Valentine avait de ces formules, parfois.
    — Moi non plus, je ne vais pas moisir ici longtemps, me dit-elle.
    Je m’en doutais.
    Pierre Laval avait laissé son paquet de Craven en évidence, sur la table du Conseil des ministres. Je l’ai remarqué aussitôt, ce genre de détail ne m’échappe pas.
    Le vice-président du Conseil n’avait pas renoncé au tabac anglais, le lendemain de Mers El-Kébir ! L’indication politique était claire. J’y voyais un signe. Si j’avais pu rassurer Winston Churchill, je l’aurais fait. Eh bien, c’est difficile à imaginer, pourtant c’est vrai. Cette boîte de cigarettes à bouts dorés déposée volontairement, j’en mettrais ma main au feu, sur une table ovale, n’a intéressé personne. Personne n’en a tenu compte. Personne, sauf moi. En 1945, je suis allé en témoigner devant la Haute Cour de justice. Maître Albert Naud avait tenté vainement de m’en dissuader. J’ai déposé sobrement, avec juste ce qu’il faut d’émotion dans la voix. Eh bien, croyez-moi si vous le voulez, ils ont ricané, oui les jurés ont ricané méchamment…
    On était arrivé à Vichy la veille. François avait réussi à se faire recevoir par Pierre Laval, quelques minutes avant le conseil.
    Simple visite de politesse, très mal interprétée, par la suite, par ceux, moins débrouillards, qui n’avaient pas obtenu ce privilège.
    J’attendais dans une antichambre, et c’est en ouvrant une porte, au hasard, que j’ai découvert, dans une grande pièce où le vice-président allait s’engouffrer en prenant congé de François, le fameux paquet de Craven qui emporta ma conviction : Pierrot n’était pas un traître. Je n’ai jamais voulu en démordre. J’ai horreur de me tromper.
    Ils n’étaient plus, depuis longtemps, du même côté des barricades, le vice-président du Conseil et mon cousin, mais ils s’estimaient. N’avaient-ils pas été l’un et l’autre des admirateurs de Briand.
    — Alors ? Ai-je demandé à François, tandis que nous quittions l’Hôtel du Parc…
    — Alors, rien ! On est dans la merde jusque-là (il plaça le côté gauche de sa main droite sous son nez, pour que je le comprenne bien) mais Laval est décidé à jouer les vidangeurs.
    Il m’a invité à retrousser mes manches.
    Nous nous sommes installés dans des fauteuils en osier, à la terrasse d’un café. C’était l’heure de l’apéritif. Devant nous, dans un décor dérisoire, se déroulait une opérette historique dont nous ne savions pas qu’elle s’achèverait en tragédie. Nous n’avions pas soif. François réclama tout de même deux Vichy-menthe, nous ne pouvions pas faire moins, et du papier pour écrire. Le garçon lui remit un petit carnet publicitaire Dubonnet, il lui suffit d’une feuille pour consigner, mot à mot, l’essentiel du discours que venait de lui tenir un Pierre Laval inspiré.
    « François, la France fait dans son froc, le maréchal va essayer de la soigner et si elle ne se laisse pas faire, je lui foutrai mon pied au cul. »
    — Voilà le programme, me dit-il en me tendant le précieux morceau de papier que je me suis empressé d’empocher.
    Ce n’étaient pas des paroles en l’air.
    L’écharpe tricolore en mouchoir de poche, les parlementaires débarquent en vagues successives. Elles pointent de partout les barbiches de la Troisième République. Pour chacun le seul vrai problème c’est d’abord de trouver un toit.
    Je prends le carnet Dubonnet et je note ce commentaire piquant : « Les députés cherchent une chambre. Elle commence bien la comédie. » Le grand manège s’affole, il s’agit de le prendre au vol.
    François me plante là. Il a un rôle à jouer dans le spectacle. Et me voilà figurant une fois de plus.
    La danse des feutres gris qui se soulèvent machinalement a des rigueurs de métronome. On
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