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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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m’attendait pas. Cela n’aurait pas dû m’étonner. Personne ne m’attendait jamais.
    — Ah ! c’est vous ! on se verra demain, me dit-elle, y’a Léo Marjane qui chante dans le poste…
    — Ne vous dérangez surtout pas pour moi, lui dis-je, tandis qu’elle recherchait mon trousseau de clefs dans un pot à tabac qui avait appartenu à son père.
    J’étais vraiment malheureux qu’elle ne m’invitât pas à bavarder avec elle. J’avais tant de choses à lui raconter. J’aurais volontiers écouté moi aussi Léo Marjane qui chantait si bien l’amour. Après l’éditorial de Jean Hérold-Paquis, je me serais confié à Pélagie. Elle se serait émue en apprenant que mon cousin François faisait presque partie du gouvernement.
    — Par les temps qui courent, m’aurait-elle dit, ça peut servir.
    Nous aurions parlé de la guerre bien évidemment, et des cartes d’alimentation et des Juifs…
    Je n’aurais pas oublié de lui demander de surveiller mon courrier.
    — J’attends une lettre importante en provenance de l’étranger… des nouvelles de maman. Elle aurait compris mon impatience et cela m’aurait fait du bien de la lui faire partager. Si elle avait insisté pour en savoir plus, je lui aurais dit simplement :
    — Maman est une femme qui occupe de hautes fonctions en Argentine, elle va probablement m’appeler auprès d’elle.
    Pélagie en aurait eu le souffle coupé et je serais monté me coucher calmement. Confiant dans mon étoile.
    J’ai ouvert largement la fenêtre de ma chambre. Sur le cimetière Montmartre, le soir descendait comme d’habitude. Je me suis laissé tomber sur mon lit tout habillé. D’un café de la rue Caulaincourt, parvenaient jusqu’à moi des éclats de rire bavarois, et des gloussements de femmes qu’on chahute vulgairement. Cette fête à la bière et au sperme m’a distrait un long moment. Je me souviens m’être fait cette réflexion : elles ne s’ennuient pas les garces… Et l’avoir regrettée aussitôt en songeant que j’aurais pu être le fils de l’une de ces femmes. Eh oui, me suis-je dit : toutes les femmes du monde sont ta mère. Même quand elles jouissent de manière indécente.
    Ce genre de pensées m’empêchait de bander aussi tranquillement que les jeunes de mon âge.
    Fâché après moi, je me suis relevé fermer la fenêtre pour m’obliger à dormir. Pour ne plus penser.
    J’avais beau me tourner dans tous les sens, mettre ma tête sous l’oreiller, je m’épuisais. L’esprit constamment dérangé par des souvenirs, des visages, des questions.
    Qui m’aime ?
    Valentine et François m’aiment bien, je crois…
    Mais qui m’aime absolument ? Au point de se traîner à mes pieds, de me regarder dormir, de s’émouvoir, en offrant sa joue à mon souffle. Qui m’aime pour rien, sans attendre rien de moi, qui m’aime pour le sang qui coule dans mes veines ?
    Qui m’aime comme on aime un fils, qui m’aime comme on aime un homme pour son sexe et ses bras ?… Qui m’a aimé ? Qui m’aime et qui m’aimera ?
    J’ai fermé les yeux, pour retrouver les fantômes qui peuplaient ma solitude. La voix nostalgique de Léo Marjane et l’accueil pressé de Pélagie Pontin n’étaient pas innocents du cafard qui m’agitait l’âme. Qui m’aime ? Réponse : personne…
    Je ne pouvais plus guère espérer qu’un facteur. J’ai dû finir par trouver un coin de drap frais et m’abandonner au sommeil.
    Quand on a frappé à ma porte, je finissais un rêve tumultueux que je ne peux pas dire avec certitude.
    Mettons que j’étais guitariste de l’orchestre du dancing d’un palace argentin. Les autorités civiles et militaires de l’endroit y donnaient un bal élégant. Mes doigts frôlaient des cordes qui refusaient de céder. Déguisé, je transpirais dans un costume blanc piqué, aux épaules et aux plis du pantalon, de perles jaunes et vertes. Pour ne pas avoir affaire à la police qui me guettait, je réussissais à improviser de mémoire les accords de La Cumparsita…
    On a frappé encore. Animé par un vieux réflexe bourgeois, j’ai enfilé un slip avant d’aller ouvrir. C’était Pélagie Pontin qui me portait des fruits et des yaourts. J’ai remarqué immédiatement sa permanente.
    — J’ai été au coiffeur pour vous, me dit-elle, c’est que je suis quand même contente de vous revoir.
    — Moi aussi Pélagie.
    Elle était là devant moi grosse et rassurante. Comme avant, comme
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