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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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supplémentaire.
    À l’aube, elles rendaient au lavabo des flots de champagne qu’elles avaient ingurgités pour faire plaisir à la direction. J’aimais particulièrement ce tableau intitulé Un après-midi au harem  ; les jeunes Munichois s’étouffaient d’excitation aux évocations lascives d’une créature prénommée Jeannine qui me réserva ses faveurs plusieurs semaines durant.
    Je lui donnais quelques billets pour qu’elle dépose ses voiles lentement sur une chaise prévue à cet effet, au pied de mon lit.
    Elle le faisait de bonne grâce sans palabre inutile.
    Nous n’échangions que peu de mots. Je savais par la barmaid du « Paradise » que son mari était prisonnier. Elle ne le trompait pas. Elle m’accordait une représentation privée. C’est tout.
    Nous faisions l’amour assez simplement. Après quoi elle rentrait chez elle. Je préfère dormir seul.
    J’ai fini par me lasser de ce rituel, un peu monotone à la longue. J’ai espacé mes visites au « Paradise » pour que Jeannine m’oublie plus facilement. Elle commençait à s’attacher à moi.
    Pélagie, qui ne la connaissait pas mais se doutait bien que je recevais la nuit, manifestait un certain agacement. Elle était sûrement un peu jalouse des femmes qui s’attardaient trop longtemps dans ma vie.
    — À propos, me dit-elle, alors que j’étais occupé à consulter mon carnet d’adresses, vous savez ? Votre Simone… la chanteuse qui habitait chez vous avant-guerre, je l’ai entendue à la radio.
    — Ah bon !
    — Oh j’ai bien reconnu sa voix. C’était Simone Lenoir qu’ils ont dit… La nouvelle vedette de charme. Pensez si ça m’a fait plaisir. Son colonel allemand a dû l’aider. Mais elle est méritante quand même.
    Je n’ai pas cherché à la revoir. J’ai seulement tendu l’oreille aux programmes de Radio-Paris.
    Pélagie se désolait de ne pas pouvoir faire le ménage dans tous les coins de mon appartement. Il y régnait un désordre au milieu duquel je me retrouvais parfaitement. Il me protégeait.
    Je n’avais pas jugé utile de défaire ma valise récupérée à la consigne de la gare de Lyon, ni même d’aller à Bellac reprendre ma voiture.
    Je me croyais en résidence provisoire à Paris. Tous mes amis l’avaient quitté ; sans Cocteau et sans Berl la rue de Montpensier était vide. Sans Valentine je retardais le moment où je devais passer avenue de Ségur.
    C’est dans un café de la rue du Bac où je rédigeais des cartes postales que je suis tombé sur Drieu, lui-même penché sur un dactylogramme qu’il corrigeait au crayon noir.
    J’ai remarqué qu’il n’avait pas le visage gai. Peut-être était-ce dû seulement au texte qui l’absorbait ? Quand il a relevé la tête, nos regards se sont croisés. J’ai esquissé un salut en me déplaçant vers lui.
    Il fut très étonné de me retrouver là. Je le surprenais. Il a marqué sa page avant de refermer son manuscrit. En rangeant son crayon dans la poche intérieure de son costume en toile de couleur sable, il m’a indiqué une chaise devant le guéridon de marbre où il se tenait assis. Il faisait chaud. J’ai bu la bière qu’il m’a offerte en souvenir de Berlin.
    Il m’a dit : « Je sais que ton cousin François est à Vichy… » Je lui ai répondu que j’étais précisément en train de lui écrire.
    Nous n’avons pas évoqué la guerre. Une main sur le front, il m’a demandé où j’en étais avec les femmes.
    Sans attendre ma réponse, il m’a assuré qu’elles ne pouvaient plus rien pour lui. Je l’avais connu moins pessimiste à ce sujet.
    Il était assez beau. Sensuel.
    Il s’est forcé à me sourire en cherchant de la monnaie.
    — Qu’est-ce que tu vas faire ?
    — Partir.
    — Ne te trompe pas de route.
    Je n’ai pas interprété cette recommandation autrement que comme un conseil paternel. Je pourrais en déduire qu’il s’adressait à lui plus qu’à moi. Mais non, ce serait trop simple.
    J’ai posté mes cartes boulevard Saint-Germain. Une pour François, une pour Lisette, une autre pour ma tante Mathilde.
    Drieu s’est dirigé vers la N.R.F., moi j’ai marché dans le quartier pour trouver une botte d’anémones.
    Les choses auraient pu continuer d’aller ainsi, si j’avais su qu’il n’y a rien à attendre de réconfortant d’un ambassadeur argentin, même dévoué.
    La lettre est arrivée un matin comme un autre dans une enveloppe grise plutôt élégante. Je l’ai
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