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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1
Autoren: Irwin Shaw
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pour nous. Que serions-nous, sans cela, sinon une nation de mendiants ? Sept millions de personnes sans but, sans avenir, à la merci de n’importe qui, vivant, comme des tenanciers d’hôtels, des touristes et des pourboires donnés par les étrangers. Ces gens ne peuvent pas toujours vivre dans l’humiliation. Ils feront ce qu’ils pourront pour retrouver le respect d’eux-mêmes. Et ils ne peuvent le faire qu’en devenant nazis, en devenant une partie de la Plus Grande Allemagne.
    Sa voix vibrait à nouveau ; elle avait retrouvé son intonation, sa couleur.
    –  Ce n’est pas la seule façon, dit Margaret, discutant malgré elle.
    Mais il paraissait si intelligent et si agréable, si accessible à la raison…
    –  Il doit y avoir d’autres moyens que le mensonge, le meurtre et l’escroquerie.
    –  Ma chère enfant…
    Le professeur de ski secoua patiemment la tête, d’un air peiné.
    –  Vivez dix ans en Europe et revenez me le dire ensuite, si vous y croyez encore. Je vais vous dire quelque chose. Jusqu’à l’année dernière, j’étais communiste. Ouvriers du monde, la paix pour tous, à chacun selon ses besoins, la victoire de la raison, fraternité, fraternité, etc.
    Il rit.
    –  Idioties ! Je ne connais pas l’Amérique, mais je connais l’Europe. En Europe, jamais rien ne sera accompli par la raison. Quant à la fraternité… une plaisanterie de coins de rues, bonne pour politiciens médiocres d’entre-deux guerres. Et j’ai l’impression que ce n’est pas tellement différent en Amérique. Vous appelez ça du mensonge, du meurtre et de l’escroquerie. Peut-être ! Mais, en Europe, c’est nécessaire. C’est la seule chose qui fait de l’effet. Croyez-vous que ça me plaise de dire ça ? Mais c’est vrai, et il faut être un imbécile pour ne pas le reconnaître. Lorsque tout sera remis en ordre, nous pourrons mettre un terme également au « mensonge et au meurtre », comme vous dites. Lorsque les gens auront assez à manger, lorsqu’ils auront du travail, lorsqu’ils auront l’assurance que leur argent vaudra demain autant qu’aujourd’hui – et non dix fois moins qu’aujourd’hui – lorsqu’ils sauront qu’ils possèdent un gouvernement bien à eux, qui ne se laisse pas commander par tout le monde… lorsqu’ils cesseront de pouvoir être vaincus par n’importe qui ! La faiblesse ne donne rien, sinon la famine et la honte. La force donne tout. Maintenant, au sujet des Juifs…
    Il haussa les épaules.
    –  C’est un malheureux accident. Quelqu’un a découvert, d’une façon ou d’une autre, que c’était la seule manière de parvenir au pouvoir. Je ne dis pas que je suis d’accord. Je sais qu’il est ridicule de s’attaquer à une race donnée, quelle qu’elle soit. Je sais qu’il y a des Juifs tels que Frédérick et des Juifs, disons… tels que moi-même. Mais si la seule façon de créer une Europe propre et ordonnée est d’en éliminer les Juifs, alors nous devons le faire. Une petite injustice pour une grande justice. C’est la seule chose que les camarades nous aient apprise. La fin justifie les moyens. C’est une chose difficile à apprendre, mais je crois que les Américains eux-mêmes finiront un jour par l’admettre.
    –  C’est horrible, dit Margaret.
    –  Ma très chère enfant…
    Le professeur de ski se retourna et lui prit les mains, parlant d’un ton vif et sincère, le visage animé.
    –  Je parle d ’un point de vue abstrait et ça vous paraît encore pire. Mais vous devez me pardonner. Je puis, en revanche, vous promettre quelque chose. Quelque chose que vous pourrez répéter à votre ami. Ça n’ira jamais jusque-là. Pendant un an ou deux, il sera un peu inquiété. Il devra peut-être quitter ses affaires, abandonner sa maison. Mais, lorsque le but sera atteint, lorsque l’opération aura produit l’effet qu’elle doit produire, il pourra rentrer chez lui. Le Juif est un moyen, non une fin. Lorsque tout le reste sera arrangé, il reprendra sa place légitime. Je vous le garantis absolument. Et ne croyez pas les journaux américains. Je suis allé en Allemagne l’année dernière et je peux vous assurer que c’est bien pire dans l’esprit des journalistes que dans les rues de Berlin.
    –  Je déteste tout cela, dit Margaret. Je les déteste tous.
    Le professeur de ski la regarda dans les yeux, puis haussa les épaules, vaincu et mortifié, et, lentement, se détourna.
    –  Je regrette,
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