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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1
Autoren: Irwin Shaw
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chaque jour pour l’étranger. Pourriez-vous me faire transférer dans l’une d’elles ?
    Il y eut une pause imperceptible, à l’autre bout du fil.
    –  Oh, dit Cahoon, et il y avait, dans sa voix, un soupçon de déception et de reproche. Naturellement.
    Si vous le désirez.
    –  Je vous enverrai ce soir une lettre exprès, avec numéro matricule, grade, unité, et tout le tralala. Vous en aurez besoin.
    –  Oui, dit Cahoon. Je vais m’en occuper immédiatement. Et toujours cette légère froideur, dans sa voix.
    –  Je suis désolé, Tom, dit Michael. Je ne peux pas tout vous expliquer par téléphone. Il faudra que j’attende de vous voir.
    –  Vous n’avez pas besoin de m’expliquer quoi que ce soit, dit Cahoon. Je suis sûr que vous avez vos raisons.
    –  Oui, dit Michael. J’ai mes raisons Merci encore.
    Je vous quitte. Il y a là un sergent sur le point d’être père qui veut appeler la maternité de Dallas City.
    –  Bonne chance, Michael, dit Cahoon, mais sa cordialité était un peu forcée et pas tout à fait convaincante.
    –  Au revoir. J’espère que nous nous reverrons bientôt.
    –  Évidemment, dit Cahoon. Nous nous reverrons très bientôt.
    Michael raccrocha et ouvrit la porte de la cabine. Un grand sergent au visage anxieux, à la main pleine de « quarters », envahit la cabine et se jeta sur la minuscule banquette, sous l’appareil téléphonique.
    Michael sortit dans la rue, et, le long du trottoir bordé de bistrots, se dirigea vers le Club local de la Croix-Rouge. Il s’assit devant l’une des tables maculées, parmi les soldats vautrés dans les larges fauteuils de bois, parmi ceux, qui, comme lui, écrivaient à de lointains destinataires.
    « Voilà, pensa Michael en tirant à lui une feuille de papier, m’y voilà, au pied du mur, prêt à faire ce que j’avais dit que je ne ferais jamais, ce qu’aucun de ces garçons innocents et las ne pourrait jamais faire. J’utilise mes amis, et leur influence, et mes privilèges civils. Cahoon a peut-être raison d’être désappointé. » Il était facile d’imaginer ce que devait penser Cahoon, en ce moment, assis chez lui, près de l’appareil téléphonique. « Ces intellectuels, pensait probablement Cahoon, quoi qu’ils puissent dire, ils sont tous les mêmes. Quand le bruit des canons se rapproche un peu trop, ils découvrent tout à coup qu’ils ont mieux à faire ailleurs… »
    Il faudrait qu’il parle à Cahoon du capitaine Colclough, d’un type de la Commission d’Enquêtes fédérales, qui avait votre destin à la pointe de son stylo, et dont les décisions étaient irrémédiables et sans appel. Il faudrait qu’il lui parle d ’Ackermann et des dix combats sanglants, sous les yeux impitoyables de la compagnie. Il faudrait qu’il lui fasse comprendre ce que c’était qu’être commandé par un homme qui désirait vous voir mourir. Les civils ne pouvaient pas comprendre ces choses-là, mais il essaierait de les lui expliquer. Telle était la différence primordiale entre la vie civile et la vie dans une organisation militaire. Le civil américain avait toujours la possibilité de soumettre son cas à l’arbitrage impartial d’autorités compétentes, chargées de rendre la justice. Le soldat, lui… À l’instant même où l’on enfile sa première paire de brodequins militaires, on perd sa dernière chance de faire appel à qui que ce soit.
    Il essaierait d’expliquer tout cela à Cahoon, et il savait que Cahoon essaierait de le comprendre. Mais il savait également qu’en fin de compte la petite note de désappointement ne quitterait jamais la voix de Thomas Cahoon. Et, pour être franc avec lui-même, Michael savait qu’il ne l’en blâmerait pas, car cette petite note de désappointement ne quitterait jamais, non plus, le fond de sa propre conscience.
    Il commença la lettre destinée à Cahoon, imprimant d’abord avec soin son numéro matricule et le numéro de son unité ; il avait, en écrivant cet assemblage de chiffres si familier – mais qui semblerait, à Cahoon, si baroque et hétéroclite, – l’impression d’écrire à un étranger.
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