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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1
Autoren: Irwin Shaw
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un regard bovin, tendant vainement de résoudre cette énigme.
    –  Ce que je me demande, dit-il enfin, c’ est ce que tu veux, où que tu veux en venir ?
    Noah sourit, et ce sourire lui arracha un grognement de douleur.
    –  Que tous les Juifs, haleta-t-il péniblement, soient traités comme s’ils pesaient tous cent kilos.
    –  C’est pas une idée pratique, dit Fein. Oh ! et puis merde, si tu veux te battre encore, vas-y, fais-toi démolir. Mais je comprenais encore mieux ces types de Géorgie qui savaient pas quoi faire de leurs souliers jusqu’à ce que le sergent de l’habillement les leur mette aux pieds, que toi, un Juif.
    Posément, il remit son calot.
    –  Les petits bougres comme ça forment une race à part, soupira-t-il. J’arriverai jamais à rien y comprendre.
    Il sortit, et chacune des lignes de ses énormes épaules et de son cou de taureau et de tête rasée exprimait sa complète désapprobation à l’égard du garçon abîmé, étendu dans ce lit, et qui, par quelque caprice incompréhensible du destin, avait avec lui une sorte d’indissoluble parenté.
    C’était le dernier combat et il lui suffisait de rester à terre pour que tout soit fini. À travers un nuage sanglant, il leva les yeux vers Brailsford, qui, debout près de lui, en pantalon et tricot de corps, le dominait de toute sa hauteur. Le visage de Brailsford oscillait bizarrement, contre le cercle blanc des autres visages et contre la lessive lointaine du ciel effiloché. C’était la deuxième fois que Brailsford l’envoyait à terre. Mais il avait poché l’œil de Brailsford, et Brailsford avait crié de douleur lorsque le poing de Noah l’avait touché à l’estomac. Si Noah restait à terre, s’il se contentait de rester où il était, sur un genou, cinq petites secondes de plus, c’en serait fini des dix combats, des os fracturés, des longs jours passés à l’infirmerie, des vomissements nerveux, les jours où il y avait un combat de prévu, de l’horrible rugissement du sang dans ses oreilles, quand il se relevait une fois encore, pour faire face aux visages haineux et confiants, aux énormes poings assommeurs.
    Cinq secondes de plus et la preuve serait faite. Ce qu’il avait voulu démontrer – il ne s’en souvenait plus très bien, actuellement – ce qu’il avait voulu démontrer serait simplement démontré. Ils réaliseraient, tôt ou tard, que ce n’était pas parmi eux qu’avait été le vrai vainqueur. Neuf défaites réelles et une défaite par défaut n’eussent pas suffi à les convaincre. L’esprit ne triomphe de la matière que lorsqu’il fait le tour complet des sacrifices et des souffrances. Même ces hommes ignorants et brutaux comprendraient, lorsqu’il marcherait avec eux sur les routes de Floride, et plus tard sur les routes étrangères balayées par le feu de l’ennemi, qu’il leur avait donné un exemple de volonté et de courage dont le meilleur d’entre eux n’eût sans doute pas été capable…
    Tout ce qu’il avait à faire était de rester sur un genou.
    Il se releva.
    Il leva les mains et attendit l’attaque de Brailsford. Étrangement vague, le visage de Brailsford flotta devant ses yeux. Il était blanc et maculé de rouge, et grimaçait nerveusement. Noah frappa le visage fantôme, de toutes ses forces, et Brailsford s’écroula. Noah contempla, d’un œil morne, la silhouette étendue à ses pieds. Brailsford haletait, et ses mains repoussaient la terre.
    –  Debout, dégonfleur ! cria une voix.
    Noah écarquilla les yeux. C’était la première fois qu’un autre que lui-même se faisait injurier en ces lieux.
    Brailsford se releva. Il était gras et hors de forme, parce qu’il tenait les écritures de la compagnie et qu’il trouvait toujours de bonnes excuses pour couper aux gros travaux. Sa respiration sanglotait dans sa gorge. Son expression était celle d’un animal acculé. Ses mains remuaient vaguement, en face de lui.
    –  Non… dit-il à mi-voix.
    Noah s’arrêta, le regarda. Il secoua la tête et frappa. Des deux hommes frappèrent en même temps, et Noah tomba pour la troisième fois. Brailsford était lourd et le coup avait atteint Noah à la tempe. Méthodiquement, Noah ramena ses jambes sous lui, en respirant profondément. Puis il leva les yeux vers Brailsford.
    L’imposante silhouette du caporal était inclinée vers lui, mains pendantes. Il respirait difficilement et chuchotait : « Voyons… Voyons… » Assis sur
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