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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1
Autoren: Irwin Shaw
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dont vous vous êtes coupé la lèvre ?
    Involontairement, Margaret porta la main à son menton meurtri. Elle jeta un regard oblique au professeur de ski. Solennel, il regardait toujours les collines.
    –  Frédérick vous a rendu visite, la nuit dernière ? dit-il.
    –  Oui, dit doucement Margaret. Vous êtes au courant, au sujet de Frédérick ?
    –  Tout le monde est au courant, au sujet de Frédérick, dit le professeur de ski d’une voix rauque. Vous n’êtes pas la première à ressortir de cette chambre avec le visage marqué.
    –  Et rien n’a jamais été fait pour l’empêcher de continuer ?
    Le professeur de ski éclata de rire.
    –  Jeunesse ardente et enthousiaste, gouailla-t-il. La plupart des jeunes filles aiment ça, dit-on, même celles qui se font prier un peu, pour la forme. Petite particularité de l’hôtel Langerman. Une célébrité locale. Tout pour la skieuse. Un funiculaire, cinq remonte-pentes, dix-huit pieds de neige et le viol maison, sans aucun supplément. Je suppose qu’il ne va jamais bien loin. Si la dame s’y oppose fermement, il abandonne. Il a abandonné, avec vous ?
    –  Oui, dit Margaret.
    –  Vous avez passé une mauvaise nuit, n’est-ce pas ? Joyeux commencement d’une nouvelle année, dans cette bonne vieille Autriche.
    –  J’ai bien peur, dit Margaret, que tout soit d’un seul morceau.
    –  Que voulez-vous dire ?
    –  La chanson du Horst Wessel, les Nazis, les entrées avec effraction dans les chambres des femmes, les coups et les viols…
    –  C’est ridicule ! cria Diestl, furieux. Vous n’avez pas le droit de parler comme ça !
    –  Qu’ai-je dit de mal ?
    Margaret sentait revenir sa crainte et son trouble passés.
    –  Frédérick ne s’est pas introduit dans votre chambre parce qu’il est nazi.
     
    Le professeur de ski parlait à nouveau avec sa patience et son calme habituels, comme il parlait aux enfants de ses classes de débutants.
    –  Frédérick a fait ça parce que c’est un cochon, un être humain sans moralité, un mauvais homme. Il est accidentel qu’il soit également nazi. En fin de compte, il fera sans doute aussi un mauvais nazi.
    –  Et vous ?
    Absolument immobile, Margaret regardait ses pieds.
    –  Évidemment, dit le professeur de ski. Évidemment, je suis nazi. N’ayez pas l’air aussi choquée. Vous avez lu ces journaux idiots de votre pays. Nous mangeons les enfants, nous brûlons les églises, nous faisons défiler les nonnes dans les rues, complètement nues, et nous leur peignons des dessins obscènes sur le dos , avec du sang humain et du rouge à lèvres, nous avons des centres de reproduction d’êtres humains, etc. Vous en ririez, si vous n’étiez pas aussi sérieuse.
    Il se tut. Margaret avait envie de s’en aller, mais elle avait peur, si elle se levait, d’être trop faible pour marcher et de s’écrouler dans la neige. Ses yeux la brûlaient, ses genoux flageolaient ; elle avait l’impression confuse de n’avoir pas dormi depuis plusieurs jours. Elle écarquilla les yeux et regarda les paisibles collines blanches, moins grandioses et dramatiques à mesure que grandissait la lumière.
    « Quel mensonge, pensa-t-elle, que ces collines magnifiques et paisibles dans le soleil levant. »
    –  J’aimerais que vous compreniez…
    La voix de l’homme était douce, accablée, convaincante.
    –  Il vous est trop facile, en Amérique, de tout condamner. Vous êtes si riches et vous pouv ez vous permettre tant de luxes. La tolérance, ce que vous appelez la démocratie, des positions morales nettement définies. Ici, en Autriche nous ne pouvons nous permettre d’avoir une position morale.
    Il attendit, comme pour lui laisser le temps de passer à l’attaque, mais elle demeura silencieuse, et il continua, d’une voix basse, monocorde, difficile à comprendre, qui se perdait aussitôt dans l’immensité brillante et vide.
    –  Évidemment, dit-il, vous avez une conception spéciale. Je ne vous en blâme pas. Votre ami est juif et vous avez peur pour lui, et vous perdez de vue ce qui compte vraiment. Ce qui compte vraiment, ré-péta-t-il, comme si les mots avaient eu un son rassurant et agréable à sa propre oreille, ce qui compte vraiment, c’est l’Autriche. Le peuple allemand. Il est ridicule de prétendre que nous ne sommes pas allemands. Il est facile pour les Américains, à cinq mille milles d’ici, de prétendre que nous ne sommes pas allemands. Mais pas
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