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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1
Autoren: Irwin Shaw
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m’intéressent pas. Ça n’en vaut pas la peine.
    Il lui lâcha les mains, posa sa paume sur le visage de la jeune femme, la repoussa cruellement, durement, et sauta du lit, en la frappant du genou, volontairement, au passage. Près de la fenêtre, il reboutonna ses vêtements, suçant sa lèvre déchirée. Sous la calme lumière de la lune, il paraissait gauche et déçu, enfantin et un peu pathétique.
    Puis il traversa lourdement la pièce.
    –  Je sors par la porte, annonça-t-il. Après tout, c’est mon droit.
    Margaret regardait le plafond, absolument immobile.
    Frédérick s’attardait près de la porte ; il lui répugnait de partir sans emporter quelque bribe de victoire. Margaret pouvait presque sentir le laborieux travail de son esprit de garçon de ferme, qui cherchait, fiévreusement, quelque parole méchante à dire avant de se retirer.
    –  Aaah ! dit-il, retourne donc à tes Juifs de Vienne !
    Il ouvrit la porte et partit, la laissant ouverte.
    Margaret se leva, la referma paisiblement. Elle entendait ses pas lourds décroître dans l’escalier, en direction de la cuisine, et leurs échos se perdre à travers les parois de bois de la vieille maison endormie, cernée par l’hiver.
    Le vent s’était apaisé. La pièce était calme et froide. Margaret frissonna, soudain, dans son pyjama déchiré. Elle alla fermer la fenêtre. La lune s’était couchée, la nuit pâlissait, le ciel et les montagnes étaient mystérieux et morts dans le jour grisonnant.
    Margaret regarda le lit. L’un des draps avait un accroc ; il y avait des tache s de sang, énigmatiques et sombres, sur l’oreiller, et toute la literie était bouleversée. Elle s’habilla, frissonnante. Elle se sentait fragile et endommagée. Ses poignets meurtris lui faisaient mal. Elle enfila ses plus chauds vêtements de ski, avec deux paires de chaussettes de laine, et passa son manteau sur le tout. Toujours frissonnante et glacée, elle s’assit près de la fenêtre, sur le petit fauteuil, et regarda les collines émerger de la nuit, touchées à leurs sommets par les premières lueurs vertes de l’aube.
    Les lueurs vertes virèrent au rose. La lumière descendit le long des pentes et s’y établit, souveraine, avec l’arrivée du matin. Margaret se leva et quitta la pièce, sans regarder le lit défait. Elle traversa doucement la maison paisible, dans les coins de laquelle s’attardaient les dernières ombres de la nuit ; une odeur âcre de fête refroidie planait en bas, dans la salle commune. Elle ouvrit la lourde porte et sortit dans la nouvelle année blanche et bleue.
    Les rues étaient vides. Elle marcha sans but dans la neige, et l’air du matin gonflait douloureusement ses poumons contractés. Une porte s’ouvrit ; une petite femme ronde et joviale, en tablier et bonnet à poussière, apparut sur le seuil.
    –  Bonjour, Fr ä ulein ! dit-elle. Beau matin, n’est-ce pas ?
    Margaret la regarda et pressa le pas. La femme la suivit des yeux, d’abord perplexe, puis offensée, et claqua furieusement sa porte.
    Margaret quitta la rue et gagna la route qui conduisait aux collines. Elle marchait méthodiquement, regardant ses pieds, grimpant lentement vers les pistes de ski, vides et vastes, et scintillantes sous le premier soleil. Puis elle quitta la route et se dirigea vers la cabane des skieurs, jolie comme un rêve d’enfant européen, avec ses grosses poutres saillantes et son toit incliné lourdement chargé de neige.
    Il y avait un banc devant la cabane, Margaret s’y effondra, épuisée, incapable d’aller plus loin. Elle leva les yeux vers les rocs des sommets, pourpres et acérés contre le fond bleu du ciel.
    « Je n’y penserai pas, se disait-elle, je n’y penserai pas. » Elle fixait sur les pentes un regard pétrifié, essayant de s’obliger à exécuter en esprit une longue et parfaite descente. « Je n’y penserai pas. » Sa langue léchait le sang séché, sur sa lèvre fendue. « J’y penserai plus tard, peut-être, lorsque je serai plus calme, moins bouleversée… » Éviter les neiges profondes, à droite, au bord du ravin, d’où l’on ne pouvait ressortir qu’à l’aveuglette, pour décrire une large courbe autour de ce bloc rocheux, dont la soudaine apparition pouvait pousser à la panique…
    –  Bonjour, Miss Freemantle, dit une voix à son côté.
    Elle tourna brusquement la tête. C’était le professeur de ski, le svelte jeune homme au teint brûlé auquel elle
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