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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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trois idées ensemble. Son esprit ne
fonctionnait que dans l'exaltation. Giflé par la réalité,
privée de rêves et d'ambition, son cerveau engourdi ne
fonctionnait guère plus que celui d'une huître.
    Au
matin, madame Zakreys, les seins ballottant dans sa chemise de nuit
cramoisie, fit irruption dans la chambre d'Hitler, rompant toutes les
lois tacites qui lui interdisaient de pénétrer ce
territoire.
Si
je n'ai pas l'argent dans deux jours, monsieur Hitler, je vous fais
mettre dehors. Je ne veux plus de promesses, je veux mon loyer.
    Et
elle repartit en claquant la porte, allant passer sa hargne sur ses
casseroles qu'elle manipulait violemment.
    Cette
intrusion fut salutaire à Hitler. Au lieu de se perdre de
nouveau dans une trop profonde songerie sur lui-même, il se
concentra sur un problème précis : payer sa
sous-location à madame Zakreys.
    Il
sortit dans les mes et, cette fois-ci, regarda tout autour de lui. Il
devait trouver du travail.
    Vienne
s'était immobilisée dans un temps sale de novembre. Un
froid gris et tenace figeait l'atmosphère comme du ciment. Les
arbres se dépouillaient et, pendant que les rares haies
s'éclaircissaient, branches et troncs fonçaient. Les
avenues naguère vertes et fleuries devenaient des allées
de cimetière, les anciennes frondaisons tendaient leurs doigts
secs vers un ciel d'ardoise, et les pierres viraient à la
dalle funéraire.
    Hitler
considéra attentivement les pancartes chez les commerçants
: on cherchait des vendeurs, des caissiers, des garçons de
livraisons. Il songea aux multiples rapports humains qu'il devrait
alors endurer, à l'amabilité qu'il serait forcé
de déployer, et il se sentit épuisé à
l'avance.
    Il
ne voulait pas non plus d'un destin de gratte-papier, même si
c'était plus paisible : cela aurait été
consentir à ce qu'il avait toujours refusé à son
père. Jamais ! De toute façon, il ne cherchait ni un
métier ni une carrière mais juste un peu d'argent pour
payer madame Zakreys.
    Il
aperçut un chantier, trou béant au milieu des façades,
comme une canine manquante sur la dentition saine de la ville.
    En
équilibre sur une planche, un homme brun chantait joyeusement
en empilant des briques. La belle voix mate, souple, méditerranéenne,
envoyait des bouffées d'insouciance italienne entre les murs.
D'autres travailleurs, tchèques, slovaques, polonais, serbes,
roumains et ruthènes, s'envoyaient planches, briques, sacs et
clous dans un allemand déformé et rudimentaire.
    Attiré
par la voix du maçon, Hitler s'approcha.
Y
a-t-il du travail pour moi sur ce chantier ?
    L'Italien
s'arrêta de chanter et fit un grand sourire à Hitler.
Qu'est-ce
que tu sais faire ?
    Il
sembla à Hitler que le sourire de l'Italien réchauffait
même l'air froid.
Peindre
surtout.
    Il
y eut un léger désappointement sur le visage de
l'Italien. Hitler se reprit :
Mais
je peux faire autre chose. Il faut que je gagne ma vie, ajouta-t-il
en baissant la tête.
    Les
ouvriers éclatèrent de rire. Ils se doutaient bien que
ce garçon maigre au teint d'encaustique n'avait pas mangé
à sa faim depuis longtemps.
    Une
main chaude le saisit par l'épaule et le pressa contre un
torse vivant : Guido lui donnait l'accolade.
Viens,
mon gars, on va bien te trouver quelque chose.
    Hitler
avait eu un instant la tête contre la poitrine de l'Italien. A
sa grande surprise, l'homme sentait bon, une fraîcheur de
lavande qui lui rappela l'armoire de sa mère. Il se laissa
prendre par la main, donner des tapes cordiales dans le dos pour être
mené au contremaître.
    Bien
qu'Hitler eût horreur des contacts physiques, il se laissait
faire par l'Italien. Ça n'avait pas d'importance, c'était
un étranger. Et puis — quelle aubaine ! — il ne
serait entouré que d'étrangers sur ce chantier : non
seulement personne de Vienne ne le reconnaîtrait, mais encore
sa seule nationalité le rendait supérieur à tous
ces hommes. Hitler fut engagé et devint donc gâcheur de
mortier pour Guido.
    Bien
entendu, il n'avertit pas madame Zakreys de sa nouvelle situation, il
se contenta de la payer, tâchant seulement de lui faire honte
de son comportement précédent. La veuve tchèque
marmonna quelques excuses pâteuses et fut complètement
réchauffée par le contact froid des pièces.
    Hitler
ne détestait pas du tout ses journées au chantier. Au
contraire, il avait l'impression que ce n'était pas lui qui
mêlait l'eau au ciment, il se sentait presque en vacances, il
était
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