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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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gestes des filles sans changer
grand-chose à la gêne d'Hitler : où regarder sans
se salir ? Où poser les yeux sans se rendre complice de ce
spectacle dégradant ? Comment même respirer sans
inspirer aussi la honte ?
    Guido
tenait trois femmes sur ses genoux et toutes semblaient se disputer
en gloussant la faveur de monter avec lui.
    Hitler
ne reconnaissait plus son ami. Ce qu'il avait aimé en Guido,
c'était l'Italie. L'Italie fastueuse et simple, vive et
décadente, présente et absente, où dans la voix
d'un prolétaire traînaient toujours les ors de l'opéra.
Mais, ce soir, il n'aimait plus Guido, il n'aimait plus l'Italie, il
n'en voyait que la vulgarité, la vulgarité épaisse,
charnelle, fumante, offerte. Lui, tout au contraire, il se sentait
pur, puritain, germanique.
    Pour
combattre sa déception intérieure, et pour se donner
une contenance, il saisit un crayon et, sur la nappe de papier, il
dessina Guido comme il le voyait : un Satan qui puait le sexe.
    Il
crayonnait furieusement, arrondissant une boucle, ourlant la bouche,
charbonnant l'œil, ombrant les reliefs saillants du visage
vénitien, crachant sur le papier sa haine de cette beauté
triviale.
    Soudain,
il se rendit compte que tout avait changé autour de lui.
Chacun s'était tu, tout le monde s'était approché.
On regardait le jeune homme tracer, dans une transe flamboyante, son
portrait de l'Italien.
    Hitler
sursauta et les dévisagea avec honte, furieux de s'être
laissé aller à indiquer ce qu'il pensait. Il s'était
découvert. On allait lui reprocher son mépris.
C'est
magnifique ! s'exclama une fille.
Encore
plus beau que le modèle, murmura une autre.
C'est
incroyable, Adolfo. Tu es un vrai peintre.
    Guido
contemplait son camarade avec admiration. Il n'aurait sans doute pas
eu l'air plus surpris si on lui avait appris qu'Hitler était
milliardaire. Il opina plusieurs fois de la tête, convaincu.
Tu
es un vrai peintre, Adolfo, un vrai peintre !
    Hitler
se leva brusquement. Tous le regardèrent avec crainte. Il se
sentit bien.
Bien
sûr que je suis un vrai peintre !
    Il
déchira la portion de nappe qui portait le croquis et la
tendit à Guido.
Tiens
! Je te le donne.
    Puis
il tourna les talons et sortit. IL savait qu'il ne reverrait jamais
Guido.

    Il
s'était encore évanoui.
    Pourtant,
au début, il avait réussi à conserver une
respiration régulière lorsque la soie du peignoir avait
glissé, tel un juron, jusqu'au sol. La femme avait
gracieusement retenu son chignon qui semblait vouloir suivre le
chemin du peignoir et, mutine, le coude en l'air, entre l'audace et
l'effarouchement, elle avait offert son dos et ses fesses nus à
l'assistance.
    Adolf
H. avait tracé ses premiers traits avec inquiétude,
avec circonspection, comme on craint d'entrer dans l'eau froide. Il
guettait son malaise. Il crayonnait du bout du fusain, persuadé
qu'un croquis plus ferme allait le faire défaillir. Mais rien
de terrible ne se produisait en lui. Il avait beau se palper et
s'ausculter intérieurement, il ne se sentait pas défaillir.
Il avait donc repris confiance et affermi sa main.
    A
traits gras, appuyés, il traça la silhouette de chair ;
puis il esquissa les fesses et le galbe des cuisses ; enfin il se
passionna pour le rendu des cheveux. A la dixième minute, il
était parvenu à fixer sur son carton un croquis qui lui
rappelait la Léda
au cygne gravée
par Léonard.
    Le
professeur agita la clochette. Les étudiants changèrent
de feuille. Le modèle se tourna.
    Adolf
n'eut pas le temps de maîtriser ce qui suivit. La femme,
cherchant une pose, eut la main qui s'égara sur sa poitrine et
son ventre, Adolf en suivit des yeux le parcours, fut secoué
par une force violente, eut un éblouissement et s'écroula.
    Le
cours suivant fut attendu avec impatience par l'établissement
tout entier. Professeurs, intervenants, élèves de tous
les cycles, chacun connaissait l'histoire du puceau en première
année qui s'évanouissait devant la femme nue.
    Adolf
monta les escaliers qui conduisaient au cours fatidique en condamné
qui se rend au mur d'exécution. Sa pensée se brouillait
déjà : une partie de lui voulait, cette fois, résister
au malaise, une autre voulait y céder le plus vite possible.
    Quoi
qu'il arrive, que cela arrive vite ! Qu'on en finisse !
    Il
se plaça devant son carton, tête basse.
    La
femme se leva et le silence se fit lourd, total, compact. On croyait
entendre un roulement de tambour.
    La
femme s'avança, tout au bord de
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