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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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qu'il ne reproduisait que des lignes avec
son crayon, il parvenait éventuellement à se dominer.
Rien ne prouvait que devant les chairs palpitantes de la femme si
redoutablement proche, présente et nue, il ne sombrerait pas
de nouveau.
    Arriva
l'heure du cours fatal.
    Les
étudiants envahirent la verrière surchauffée.
Adolf, derrière tout le monde, se rendit à son chevalet
presque à tâtons.
    Le
modèle monta sur l'estrade.
    Il
y eut un murmure de dépit.
    C'était
un homme.
    Insolent,
le menton tendu, le visage fermé, les yeux presque clos,
résolument indifférent à l'insatisfaction de ces
quarante adolescents en rut, il posa son caleçon, joua de ses
muscles secs et prit nonchalamment une pose athlétique.
    Le
soulagement d'Adolf allait au-delà de ses espérances.
Il regardait en souriant ses camarades qui, trop désappointés,
ne lui prêtaient d'ailleurs aucune attention.
    Adolf
prit son fusain et commença à crayonner.
    Il
entendit un petit brouhaha dans le coin gauche.
    Certains
élèves échangeaient à voix basse, d'une
voix sifflante, des paroles d'indignation.
    Après
avoir vérifié qu'il ne pouvait s'agir de lui, Adolf H.
ne prêta plus attention à ce groupe et se concentra sur
son dessin.
    Mais
les quatre garçons posèrent violemment leurs crayons,
saisirent leurs affaires, marchèrent avec bruit vers la porte
et, juste avant de quitter la pièce, lancèrent au
professeur :
C'est
inadmissible ! Absolument inadmissible !
    Le
professeur détourna la tête comme s'il n'avait pas
entendu et, à bout de colère, les quatre élèves
claquèrent la porte.
    Adolf
H. se pencha vers son voisin, Rodolph.
Qu'est-ce
qu'ils ont ?
Ils
refusent de dessiner ce modèle.
Pourquoi
? Parce que c'est un homme ?
    Rodolph
fit une moue pour signifier qu'il condamnait le comportement des
quatre garçons.
Non.
Parce que c'est un Juif.
    Adolf
était abasourdi.
Un
Juif ? Mais comment le savent-ils ?

    Il
erre dans les rues de Vienne. Vidé de tout désir, les
yeux vissés à ses chaussures, il ne voit rien, n'écoute
rien et s'alimente à peine. S'il remarque qu'il faiblit, il
croque hâtivement quelques marrons chauds achetés à
la sauvette, qu'il arrose parfois d'une bière. A la nuit
calcinée, il rentre chez madame Zakreys. Même s'il ouvre
la porte silencieusement et traverse le couloir en chaussettes, elle
lui saute dessus et le harcèle pour obtenir son loyer. Il s'en
tire par quelques promesses proférées d'une voix
blanche pendant qu'il bat en retraite jusqu'à sa chambre. Mais
madame Zakreys ne le croit plus et menace d'appeler ses cousins, des
costauds qui travaillent au marché, pour lui faire comprendre
ce qu'elle dit.
    Bien
sûr, il pourrait écrire une lettre suppliante à
sa tante Johanna pour obtenir de quoi se tirer de ce mauvais pas.
Mais cela ne le sortirait pas de l'impasse. Même s'il paie un
mois de plus, deux mois, trois mois, six mois, que va-t-il devenir ?
    Sa
plus grande douleur vient de ce qu'il ne sait plus quoi penser de
lui-même. Jusqu'ici il n'avait jamais douté de lui. Des
oppositions, des scènes, il en avait connu. Des insultes, des
remarques acerbes, il en avait reçu. Mais rien n'avait jamais
ébranlé sa confiance. Il s'estimait un être
singulier, exceptionnel, au-dessus du lot, plus riche d'avenir et de
gloire que n'importe quel autre et il s'était contenté
de plaindre ceux qui ne s'en rendaient pas encore compte. Devant son
père, petit fonctionnaire obtus, violent et raisonneur, puis,
après son décès, devant son trop lisse tuteur,
Hitler avait continué à se considérer avec les
yeux mêmes de sa mère, des yeux remplis d'adoration et
de rêves merveilleux. Il s'aimait, il se voyait pur, idéaliste,
artiste, exceptionnel, constamment placé sous la lumière
éblouissante de sa bonne étoile. En un mot : supérieur.
    Mais
sa mère était morte l'hiver précédent, et
après les résultats de l'Académie puis ceux de
la loterie, son regard venait de s'éteindre.
    Hitler
se laissait maintenant moisir par le doute. Et s'il avait passé
plus de temps à se convaincre qu'il était un peintre
qu'à y travailler effectivement ? Il est vrai qu'il n'avait
quasiment pas pratiqué ces derniers mois... Et s'il
investissait plus son énergie à se croire supérieur
qu'à le prouver vraiment ?
    Cet
examen de conscience le ravageait.
    Si
l'intelligence de certains est avivée par le doute, celle
d'Hitler en sortait amoindrie. Sans enthousiasme, sans passion, il ne
liait même plus
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