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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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petite tête, une saucisse habillée,
une saucisse avec quelques poils qui sortaient du col.
Que
c'est beau !
    Des
larmes de joie et d'attendrissement coulèrent sur les joues de
Nepomuk.
    Tiens,
une saucisse qui pleure, pensa
machinalement Adolf.
    La
saucisse ouvrit les bras et serra le peintre contre elle.
    Puis
Nepomuk voulut absolument qu'ils prennent leur déjeuner
ensemble. Adolf se dit qu'il n'était peut-être pas
inutile de se redonner quelques forces puisque, dans deux heures, il devrait affronter son premier cours.
    Il
avala sans broncher tout ce que Nepomuk fit rissoler dans ses poêles
puis, lorsqu'il tenta d'ajouter dans son estomac quelques gouttes de
café, il se sentit étouffer.
    Il
n'eut qu'une minute pour courir au fond du jardin où il vomit
d'un bloc la boutique Nepomuk.
    Plus
jamais ! Plus jamais ! C'était
décidé. A partir de ce jour-là, plus jamais il
ne mangerait de viande. Il deviendrait végétarien. Pour
toujours !
    Il
se précipita chez madame Zakreys, se lava en hâte au
lavabo, se changea. Malgré le linge propre et ses ablutions,
il était persuadé d'empester encore la décomposition.
    Puis
il courut à l'Académie.
    Il
n'avait qu'une minute pour retrouver ses amis, déjà la
cloche sonnait, ils devaient monter en salle cinq, dans
l'atelier-verrière.
    Là,
ils pénétrèrent dans une salle surchauffée.
Près d'une estrade couverte de coussins, un poêle
dégageait une chaleur engourdissante.
    Chaque
élève prit place derrière un chevalet. Le
professeur leur fournit des fusains.
    Une
femme entra, en kimono, monta sur l'estrade et, subitement, défit
sa ceinture et laissa glisser la soie à terre.
    Adolf
H. n'en croyait pas ses yeux. Il n'avait jamais vu une femme nue. Il
avait chaud, trop chaud. Elle était belle et lisse sans un
poil sur un corps mordoré.
    Comme
une saucisse.
    Ce
fut la dernière chose que pensa Adolf avant de s'effondrer sur
le plancher, évanoui.

    Dans
quelques minutes, il sera riche.
    La
semaine a vite passé, comme un frémissement. Certes, il
a fallu attendre, mais la certitude de gagner lui
a permis de traverser tel un éclair ces longs jours creux.
    Son
billet chaud et humide dans la main, Hitler attend l’affichage
de la loterie.
    «
Celui qui a la foi dans son cœur possède la plus grande
force du monde. » Cette parole que lui murmuraient les lèvres
adorées de sa mère lui a servi de bâton pour se
tenir debout, un régime moral tout autant qu'un régime
alimentaire. Il a jeûné et il a surmonté
l'épreuve de son échec : il croit de nouveau en lui, en
son destin.
    Le
fonctionnaire de la loterie sort sur la chaussée et ouvre la
boîte vitrée où il va placarder le résultat.
    Le
cœur d'Hitler fait un bond. Il s'approche.
    Il
ne comprend pas.
    Où
est l'erreur ? Sur son billet ? Sur l'affichette portée par
l'employé ? Pourtant il y a erreur, Hitler le sait d'un savoir
certain : un accord s'est conclu entre le ciel, sa mère et
lui, un pacte sacré, qui doit le faire gagner. C'est même
uniquement à ce prix, au prix de cette compensation qu'Hitler
n'a pas été reçu à l'Académie des
beaux-arts. C'était clair, pourtant.
    L'erreur
persiste.
    Hitler
a déchiffré vingt fois les nombres, les a comparés
chiffre par chiffre, les a mis à l'endroit, à l'envers.
Rien n'y fait. La différence persiste. S'aggrave. S'entête...
    Hitler
devient de plomb, lourd, froid, impotent.
    La
réalité a pris le dessus. La magie a fui.
    L'univers
n'a tenu aucune de ses promesses. Hitler est seul au monde.

    Tous
ses camarades furent très impressionnés par le récit
d'Adolf H. Décrocher une première commande à
dix-neuf ans ! Et, qui plus est, pour peindre une nativité
dans une chapelle privée ! Chez un comte ! Un comte si célèbre
qu'Adolf refusait d'en dire le nom !
    L'histoire
avait rapidement fait le tour des élèves de première
année. Aussi vite que celle de son évanouissement...
    Il
redoutait le prochain cours de nu. S'il se troublait de nouveau,
devant la femme impudique et offerte, on saurait définitivement
qu'il n'était qu'un puceau puritain.
    Il
occupa donc ses heures libres, dans sa chambre, à recopier des
femmes nues trouvées dans une anthologie de la gravure. Il
apprivoisait son trouble. Dessiner une cuisse, galber un sein lui
donnait de grandes émotions, tendait son pantalon, l'amenait
même à des extases solitaires mais il ne s'évanouissait
pas. Cela suffirait-il ? Protégé par sa solitude, les
murs de sa chambre, le fait
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