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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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comme débarrassé de lui-même.
    Sans
bien discerner pourquoi, il appréciait Guido. L'éternelle
joie de l'Italien, son sourire désarmant, ses paupières
rieuses, sa poitrine velue qu'il montrait sans gêne aucune, la
force virile qui éclatait en lui, qui conduisait ses gestes,
sa voix, son italien tendu et sonore, ses bras et cuisses propres à
n'importe quel effort, tout cela éclaboussait Hitler comme un
soleil au cœur de l'hiver. Il se réchauffait auprès
de lui ; il reprenait de la vigueur ; il buvait son humeur ;
parfois même, il souriait.
    Guido
aimait bien le « petit Autrichien », mais comme cela,
sans plus, ainsi qu'il aimait tout le monde. Hitler appréciait
hautement cette affection indifférenciée, cette
bonhomie qui ne l'engageait pas trop. Il faisait bon vivre dans l'air
que respirait et brassait Guido.
    Parfois,
après le travail, ils allaient prendre une chope ensemble.
Hitler aidait Guido à corriger son allemand. Il appréciait
ce changement de rôle : le soir, à la différence
du jour, c'était Guido qui lui obéissait. Il aimait que
les lèvres de l'Italien répètent les mots qu'il
lui avait dictés, il aimait que l'Italien se donne comme but
de l'imiter, il aimait les éclats de rire qui ponctuaient ses
erreurs, il aimait aussi, à la fin de chaque séance, le
soupir exaspéré de Guido qui gazouillait, dans son
allemand joyeux, déformé par les couleurs et épices
de sa Vénétie natale, qu'il n'arriverait jamais à
parler la langue de Goethe. Hitler jouissait alors d'une supériorité
absolue et reconnue, et il en était si redevable à
Guido qu'il trouvait alors les mots qui l'encourageaient à
tenir jusqu'à la prochaine leçon.
    Au
moment de se séparer, Guido demandait toujours à Hitler
où il logeait. Hitler noyait la question, il ne voulait
surtout pas que Guido, avec sa franchise prolétarienne,
pénétrât dans la chambre où il pouvait
encore se croire un artiste étudiant. Lorsque Guido lui
proposa d'aller rendre visite aux prostituées avec lui, Hitler
dut inventer qu'il était déjà marié et
que tous les soirs il tenait à retrouver sa femme.
    Guido
jeta alois un coup d'œil furtif sur les petites mains
dépourvues de toute alliance mais ne releva pas le mensonge.
Il se contenta de lui faire un clin d'œil complice en murmurant
:
Ça
ne fait rien. Si un soir, tu en as envie, je t'emmènerai. Je
suis sûr que tu ne sais même pas où c'est.
    Hitler
demeura estomaqué. Il était contre la prostitution, il
ne souhaitait pas rencontrer une de ces femmes vénales, mais
Guido avait vu juste : il ne savait même pas où se
trouvait le quartier chaud. Il se sentit pris en flagrant défaut
de virilité.
    On
entrait dans l'hiver. Rien n'altérait la vigueur de Guido. Lui
et Hitler ne se quittaient quasiment plus.
    Un
vendredi, Hitler en vint à dire une chose importante à
Guido : qu'il avait une très belle voix de baryton verdien,
qu'il ne méritait pas de rester sur un chantier, et qu'il
devait devenir chanteur d'opéra.
Bah,
dans ma famille, tout le monde a une voix comme moi, dit Guido en
haussant les épaules, et nous sommes maçons de père
en fils !
Mais
pourtant, moi qui suis beaucoup allé à l'opéra,
je t'assure que...
Laisse
tomber ! Ce ne sont pas des gens comme nous qui deviennent artistes.
Il faut avoir le don. Il faut être né dedans.
    Cela
coupa court à la conversation qu'Hitler voulait engager. Après
avoir fait ce compliment à Guido, il avait pensé lui
parler de ses talents de peintre. Il voulait lui faire comprendre
qu'ils étaient tous les deux différents mais Guido
avait clos la confidence en résumant de façon
péremptoire : « Ce ne sont pas des gens comme nous qui
deviennent artistes. »
    Chaque
soir, Guido l'entraînait un peu plus près du quartier
des prostituées. Il lui lançait avec un grand sourire :
Ce
n'est pas parce que tu es marié que tu n'as pas droit à
de petits plaisirs.
    Hitler
opposait une résistance farouche aux propositions de son
camarade mais il cédait du terrain et finit par passer la
porte d'un bordel.
    Dans
la salle enfumée, au milieu de ces filles aux sourires
faciles, aux gestes caressants, aux déhanchements constants,
aux décolletés ahurissants, aux jambes trop facilement
écartées, Hitler se sentit immédiatement mal à
l'aise.
    Guido
expliqua aux filles qu'il fallait laisser son ami tranquille, que
celui-ci l'avait accompagné par gentillesse mais qu'il ne
voulait rien consommer.
    Cela
réfréna un peu les
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