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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1
Autoren: Alain Decaux
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quelque peu bornés. Les heures suivantes semblent lui donner raison. Le calme règne à bord du Potemkine .
    Le plus grand, le plus redoutable des navires de guerre russes en mer Noire, voilà ce qu’est le cuirassé Potemkine . Il a été mis sur cale en 1898. Entré en service en 1903, il déplace 12 600 tonnes. Sa longueur : 113 mètres. À bord, 48 canons et des tubes lance-torpilles. Récemment, on l’a repeint en noir. Avec ses armatures éblouissantes, ses superstructures jaune vif et ses cheminées striées de noir, le Potemkine donne l’image d’une force tranquille que rien ne peut ébranler. À lui seul, il incarne cette escadre russe de la mer Noire, construite pour faire face à l’éternelle menace turque et qui, en 1905, représente la plus forte concentration navale du monde. Au moment où tout semble vaciller dans l’empire de Nicolas II, si les mots ordre et fidélité veulent encore dire quelque chose, c’est bien sur les bateaux de l’escadre de la mer Noire.
    Singulièrement, sur le Potemkine .
     
    Il n’était pas encore midi, le 25 juin 1905, quand le Potemkine a quitté Sébastopol. Les grandes manœuvres étaient proches. On devait s’y préparer par des exercices de tir. À l’aube du 26 juin, le Potemkine a mouillé dans la baie de Tendra, non loin d’Odessa, à 150 milles de Sébastopol.
    Dans toutes les marines du monde, on a toujours organisé des manœuvres. On a toujours procédé à des exercices de tir. Rien de plus traditionnel que ce qui attend l’équipage du Potemkine dans la baie de Tendra. Parfaitement encadré, il n’a jamais manqué à la discipline. J’ai sous les yeux une photographie prise, cette année-là, sur le pont du Potemkine . Les officiers et les sous-officiers posent, sagement rangés face à l’objectif. Au premier rang, assis, les principaux gradés se sont placés de part et d’autre du commandant Golikov. Celui-ci apparaît plus petit que les autres, plutôt tassé sous ses épaulettes. Une impressionnante rangée de décorations barre sa poitrine. Qui ne se sentirait frappé par l’air de majestueuse autorité qui émane de son regard, de sa physionomie, de toute sa personne ? À sa droite, voici le commandant en second, Giliarovsky. Il dépasse Golikov d’un demi-mètre. Barbu, lui aussi, mais sa barbe et sa moustache sont noires. Dans toute son attitude, on découvre quelque chose d’impérieux : un homme qui ne s’en laisse pas conter.
    Sur ce premier rang, ils sont dix, dont six barbus. Ceux qui ne portent pas de barbe arborent de magnifiques moustaches. À l’extrême droite, se tient un homme en soutane dont l’opulente chevelure blanche se mêle à une non moins abondante barbe blanche. C’est le pope du bord : le père Parmen. Derrière, le menu fretin : officiers subalternes, officiers mécaniciens, maîtres, quartiers-maîtres. Au milieu, debout derrière le commandant, dominant les autres de sa grande taille et sûr de l’absolu de sa science, le docteur Smirnov. Au-delà, les canons. En apparence, rien ne pourra venir troubler, jamais, l’intangible image offerte par le Potemkine . En apparence seulement. S’ils exercent le même métier, s’ils se plient à des horaires identiques, à des rythmes et des tâches immuables, ces hommes-là ont changé. Le 27 juin 1905, les marins du Potemkine savent que leur pays a été vaincu.
     
    Tout a commencé seize mois plus tôt, au sud de la Mandchourie, sur le mouillage de Port-Arthur, quand, sans déclaration de guerre, la flotte japonaise a coulé trois navires russes. Une longue série de défaites s’en est suivie. Port-Arthur a capitulé. Au secours des armées russes d’Extrême-Orient, le tsar a envoyé la flotte de la Baltique. Il a fallu huit mois à celle-ci pour parvenir jusqu’à Tsoushima où les Japonais l’ont coulée. Dès lors, la Russie a su qu’elle avait perdu la guerre contre le Japon.
    Au moment où le cuirassé Potemkine mouille dans la baie de Tendra, comment ces marins n’auraient-ils pas présent à l’esprit – sans cesse – la catastrophe où, un mois plus tôt, tant de leurs camarades ont péri ? Comment n’accuseraient-ils pas de cette défaite ce haut commandement dont l’incapacité s’est révélée avec tant d’éclat ? Comment leur amertume ne se porterait-elle pas vers le gouvernement ? Et, au-delà même, vers celui dont tout émane en Russie : le tsar Nicolas II ?
    En 1905, à travers l’immense empire, un
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