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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1
Autoren: Alain Decaux
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rien d’autre.
    L’équipage n’en croit pas ses oreilles. Précipitamment, Golikov ajoute qu’il va faire procéder à des analyses de la viande et que, de toute façon, il va en référer au commandant en chef de l’escadre. C’est lui qui jugera.
    Il se borne à ajouter :
    — Vous êtes libres.
    Il descend du cabestan et, suivi par le lieutenant Alexeïev, se dirige vers sa cabine. Le commandant Golikov vient de capituler.
     
    Que s’est-il alors produit sur le Potemkine  ? Il est très malaisé de le savoir d’une façon précise. Nous disposons du rapport rédigé par Matushenko mais nous sommes en droit de douter de son objectivité. Quant au long récit – précieux pour l’histoire – de Constantin Feldmann, il faut se souvenir que son auteur n’a pas assisté à la phase initiale de la mutinerie. Nous possédons aussi une relation due à un ancien officier de la marine impériale ainsi que des textes officiels soviétiques. Si on les confronte, on aboutit à de telles contradictions que la vérité se discerne à peine ou pas du tout. Parmi les livres qui ont pour thème la mutinerie du Potemkine , celui de l’historien britannique Richard Hough peut être considéré comme un ouvrage de référence. Néanmoins, la lecture de la plupart de ces auteurs nous laisse rêveurs : nous découvrons que presque tous ceux qui ont écrit sur le Potemkine ont été considérablement influencés par le film de S.M. Eisenstein.
    Voilà le grand nom prononcé. Depuis le début de ce récit, le lecteur l’attend. Il y a quelques années, un jury international de critiques de cinéma, ayant à établir la liste des dix plus grands films du monde, a placé en tête Le Cuirassé « Potemkine » . Un chef-d’œuvre indiscuté, inégalé. Il est important de préciser dans quelles conditions Eisenstein l’a réalisé. À l’origine, il voulait évoquer la révolution de 1905 dans sa totalité. C’est là ce que lui avait demandé le gouvernement soviétique. Dans la fresque envisagée, l’épisode du Potemkine ne devait durer que quelques minutes. Eisenstein lui-même a révélé que l’anecdote ne comportait qu’une demi-page dans l’immense scénario du film en projet. Pourquoi s’est-il rendu à Odessa plus tôt que prévu par le plan de travail ? Tout simplement parce qu’il faisait trop mauvais à Leningrad où avait commencé le tournage ! À Odessa, du moins, on était sûr de trouver le soleil.
    Or, sur place, cherchant des informations, recueillant des témoignages, s’imprégnant des lieux, Eisenstein a tout à coup ressenti la grandeur du thème. Il a confié combien l’exaltation l’avait saisi. Le vrai sujet était là. Pour raconter la révolution de 1905, c’est le Potemkine seul qu’il fallait évoquer. Le film a été tourné en trois mois, vingt ans exactement après l’événement.
    Certes, Eisenstein s’est scrupuleusement documenté. Après vingt années, il était possible de retrouver les survivants et de les interroger. C’est ainsi que le film retrace très exactement les origines de la mutinerie, l’histoire de la viande en putréfaction et de la prétendue expertise du docteur Smirnov. Les noms et les personnages des principaux protagonistes sont véridiques : Golikov, Giliarovsky, Smirnov, Matushenko, Vakulinchuk, l’étudiant social-démocrate Feldmann, le pope Parmen.  (2) Pour le reste, Eisenstein a déclaré hautement qu’il avait surtout laissé aller son imagination. Il s’était en cela mis à l’école de Goethe qui préconisait « le contraire de la vérité au nom de la vraisemblance ». Dans ses Réflexions d’un cinéaste , Eisenstein raconte comment chaque séquence du Potemkine fut imaginée sur place. De sorte, commente Dominique Fernandez, qu’« il est extrêmement difficile de reconnaître dans le travail d’Eisenstein ce qui relève de la réalité telle qu’il put en avoir connaissance et ce qui relève de son invention, de son imagination ». Ce qui demeure, c’est le film. Les images du chef-d’œuvre sont si fortes qu’elles balayent tous les doutes. Elles s’imprègnent dans notre mémoire et deviennent réalité. Ainsi en est-il de l’affaire de la bâche. Quel spectateur d’Eisenstein ne se souviendrait de la bâche ?
     
    Reprenons le récit au moment où Golikov quitte le pont. Abasourdis, les marins se dispersent. Beaucoup viennent d’avoir peur, très peur. D’un seul coup, ils se voient libérés de
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