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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1
Autoren: Alain Decaux
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fusillé sous une bâche. Dans les rares cas où l’on s’est servi d’une bâche, on l’a étalée sur le plancher d’un navire, sous les pieds des condamnés, afin d’éviter que le sang ne vînt tacher le bois. Les propres confidences d’Eisenstein confirment cette version. Il raconte dans ses souvenirs qu’après la sortie du film, un individu se présenta à lui et réclama des droits sur le film. Des droits ? Oui, puisque le plaignant affirmait s’être trouvé lui-même, lors de la mutinerie, sous la bâche. « Mais il n’y avait pas de bâche ! » répondit Eisenstein  (3) . L’affaire alla jusqu’au tribunal car le prétendu mutin était entêté. Il avait tort, il perdit son procès. L’enquête avait établi que « l’invention de la bâche n’ayant aucun fondement historique, tout le mérite en revenait à Eisenstein ». Lui-même, plus tard, expliqua : « Nous étions tous imprégnés de l’atmosphère et des événements de 1905. Nos transpositions étaient justes mais les situations ne l’étaient pas. La bâche qui couvre les marins que l’on va fusiller fut, dans notre esprit, la projection du bâillon qui étouffait la Russie en 1905. »
     
    Alors, la vérité ?
    On peut la chercher dans le rapport de l’attaché naval français à Saint-Pétersbourg, le lieutenant de vaisseau de Belloy de Saint-Liénard, adressé, en date du 1 er juillet 1905, au ministère de la Marine. L’auteur affirme tenir les détails qu’il relate d’un informateur qu’il nomme Wirénius : « Le cuirassé de premier rang Kniaz-Potemkine faisait des essais à la mer, après lesquels il devait revenir à Sébastopol. En cours de route, un matelot vint présenter à un officier, le second, je crois, une réclamation écrite conçue en termes violents et demandant l’amélioration de la nourriture. La violence des termes fit que l’officier la déchira en réprimandant vertement le porteur de la réclamation. Celui-ci menaça l’officier de le frapper. Devant le geste du matelot et les murmures de tous les hommes d’équipage groupés autour d’eux, l’officier prit son revolver et brûla la cervelle à l’homme. La révolte éclata aussitôt car elle était préparée. »
    La version recueillie par le Moniteur de la flotte du 8 juillet 1905 présente avec la précédente des différences qui en modifient totalement l’aspect : « Le lieutenant ordonna aux marins de se ranger en ligne : ceux qui étaient satisfaits de la nourriture se mettraient à droite, et les autres à gauche. La majorité des marins se montra cependant satisfaite. Alors la minorité se précipita dans l’armurerie, s’empara des armes et commença à massacrer les officiers qui prenaient leur repas. Un officier arracha son arme à un homme et tira deux ou trois fois sur un matelot qu’il blessa mortellement. Sur quoi, les mutins déchargèrent plusieurs fois leurs armes sur les officiers. »
    Pour ma part, je suis frappé par le récit que l’on doit à l’envoyé spécial de l’Illustration , Gustave Babin. Très près de l’événement, le journaliste a interrogé un grand nombre de membres de l’équipage. Il a entendu l’histoire de la viande avariée, celle de son inspection par le docteur Smirnov, celle de la convocation des marins sur le pont. Les paroles du commandant sont ici, à quelques mots près, celles que nous avons retenues :
    — La viande est excellente et le docteur l’affirme. Mais, comme je veux connaître les mauvaises têtes, que ceux qui veulent bien manger passent ici ( et il désigne l’espace libre sur le pont derrière lui ). Que les autres restent là ( devant lui ).
    Je cite Gustave Babin : « Tout l’équipage, à peu près, défila devant le commandant, sans murmure, et vint se ranger où il avait dit. Demeuré en face d’une trentaine qui hésitaient, il arrêta le défilé et fit sonner la garde : dix-huit marins en armes arrivèrent et entourèrent les mécontents. Le commandant avait perdu tout sang froid : il commanda de fusiller sur l’heure les mutins. La garde obéit au commandement de charger les armes, mais ne fit plus un mouvement au cri de : “Feu !”
    « C’est alors qu’indigné de cette défection le second du bord, le capitaine Giliarovsky, arrachant à l’un des marins son fusil, mit en joue le sous-officier qui commandait le peloton. La balle partit, manqua le but, s’égara. Elle alla frapper Vakulinchuk perdu dans le tas des
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