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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1
Autoren: Alain Decaux
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peuple tout entier prend conscience que, dans le monde, la Russie reste l’un des rares grands États où l’absolutisme se déploie sans contrainte. Comment les marins du Potemkine échapperaient-ils – eux seuls – à cette interrogation tragique en forme de constat ? Chef de l’État, chef de l’Église, l’empereur de droit divin est tout-puissant. Par voie de conséquence, la responsabilité lui revient de la catastrophe, de la défaite, de l’humiliation. En 1905, pour la première fois, les Russes s’aperçoivent que l’empire du tsar repose sur des pieds d’argile. Que la plus grande partie des 129 millions de sujets de Nicolas II vivent encore comme au Moyen Age. Certes, l’industrialisation du pays présente des résultats de plus en plus positifs, mais 90 % des Russes, malgré l’abolition du servage en 1861, vivent encore comme des serfs. Les ouvriers, pour un salaire de famine, travaillent de treize à quatorze heures par jour. Leurs familles, pour la plupart, s’entassent dans une pièce unique. Beaucoup vivent dans des dortoirs. Pas de syndicat, pas de droit de grève. L’ouvrier russe est sous-alimenté et, l’instruction n’étant pas obligatoire, ignorant. Aux yeux de Nicolas II, il s’agit d’un état de fait qu’il serait dangereux de changer. Quand on lui a parlé de créer une chambre consultative, il a qualifié cette idée de « rêve insensé ». Pour parer à tout, ne dispose-t-il pas d’une police modèle, l’Okhrana ? La tâche principale de celle-ci n’est-elle pas de faire la chasse aux révolutionnaires ?
    À l’aurore du XX e siècle, des Russes toujours plus nombreux refusent que l’intolérable se perpétue. Du refus, logiquement, on passe à la révolte. Deux mouvements prônent la révolution : le parti socialiste révolutionnaire, qui se veut spécifiquement russe et s’appuie sur les paysans, et le parti social-démocrate marxiste, affilié à la II e Internationale. Depuis 1903, les sociaux-démocrates sont profondément divisés. Les majoritaires ( bolcheviks ), conduits par Lénine, s’opposent aux minoritaires ( mencheviks ) animés par Plékhanov. Ces révolutionnaires, quelle que soit leur appartenance, l’Okhrana les dépiste, les traque, les arrête, les jette en prison, parfois les met à mort. En vain. En 1905, les partis révolutionnaires russes comptent des adhérents actifs et efficaces. Partout, on lit leurs brochures et leurs journaux clandestins. Parallèlement, les intellectuels, les membres des professions libérales et d’importantes fractions de la bourgeoisie regardent du côté de l’Occident et rêvent d’une monarchie constitutionnelle. Une force non négligeable, ces libéraux qui, eux aussi, commencent à s’organiser et à présenter un programme de réformes. À tel point que les socialistes révolutionnaires, tout en souhaitant la chute du tsarisme, ne sont pas loin d’accepter de s’allier à eux. Ce qui compte, c’est que cela change.
    Quant aux sociaux-démocrates, ils ne sont disposés à transiger avec personne. Ce qu’ils exigent, c’est une république socialiste qui fera table rase du passé.
    Le nouveau, en 1905, c’est que la colère du peuple et de l’intelligentsia dépasse le cadre des partis. Elle ressemble à celle de gens poussés à bout. Des millions d’ouvriers et de paysans ne veulent plus supporter le sort dont on les accable. Longtemps, on leur a dit qu’ils souffraient pour la plus grande gloire de la Russie. Après Port-Arthur, où en est la gloire de la Russie ?
    Partout, dans le pays, des grèves ont éclaté : à Saint-Pétersbourg, à Riga, à Minsk, à Perm, à Tomsk, à Tiflis, à Batoum, à Kiev, à Kharkov, à Nijni-Novgorod. À Saint-Pétersbourg, un dimanche de janvier, une foule immense, porteuse de croix et d’icônes, a marché sur le Palais d’Hiver pour remettre une pétition au tsar. Les cosaques ont ouvert le feu. Le résultat : un carnage affreux, mille morts, trois mille blessés. Dans l’histoire, ce jour-là est resté le dimanche rouge . Du coup, le tsar Nicolas II, homme doux et faible, totalement dépassé par la situation, a pris, face à l’opinion, figure de tyran sanguinaire. Les grèves se sont étendues. Souvent elles se sont transformées en émeutes. Les diplomates en poste ont averti leurs gouvernements : le climat en train de naître à travers la Russie est révolutionnaire.
    Autour du tsar, on en est à jauger les fidélités.
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