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Céline secret

Céline secret

Titel: Céline secret
Autoren: Véronique Robert
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    Depuis la mort de Louis, la vie ne m’intéresse plus. C’est
comme si avec lui j’avais nagé dans un fleuve pur et transparent et que je me
retrouvais sans lui dans une eau sale et boueuse. On a été seul tous les deux
et personne d’autre pendant vingt-cinq ans. Il me protégeait de tout et je lui
ai tout donné.
    En voulant arrêter ma vie comme une montre que je n’aurais
plus eu la force de remonter, je me suis engouffrée dans quelque chose qui me
paralyse.
    Je sais que si on s’intéresse à moi, c’est parce que, un
jour, ma vie a rencontré celle de Céline. Malheureusement, mes souvenirs sont
comme des pétales qui s’échappent d’un bouquet dont les fleurs sont mortes.
    C’était l’histoire de Céline pas la mienne, mais, de cette
vie, je suis ressortie brûlée.
    Si, comme au théâtre, je devais définir mon personnage, je
dirais qu’il s’agit d’une présence, une suivante, pas une participation.
    Maintenant, je ne sors plus, je ne bouge plus, mais quand je
suis dans mon lit, la nuit, le jour, je parcours ma vie à l’envers et une image
plus forte que les autres s’impose à moi, je n’ai plus alors qu’à laisser se
dérouler lentement le film de mon cinéma intérieur.
    J’ai un an, je suis à l’île Saint-Louis dans ma poussette,
une femme se précipite sur moi, m’arrache de mon landau et dit à ma mère :
« Quand on sait tout ce qu’elle va vivre, il vaudrait mieux pour elle la
jeter dans la Seine. »
    Si, au moment de sa naissance, on pouvait voir se dessiner
le fil de son existence, personne sans doute ne voudrait naître. En tout cas,
moi aujourd’hui je ne recommencerais pas ma vie, ou alors à l’envers, naître
vieille et mourir jeune.
    J’ai toujours cru aux ondes, aux prémonitions, aux sorcières
et aux fées, à toute une existence secrète qui n’a cessé au long de ma vie de
me faire des signes.
    Seuls deux êtres ont vraiment compté pour moi : ma mère
et Céline. Seules deux passions m’ont nourrie entièrement : la danse et
les animaux.
    J’ai adoré ma mère, c’est la personne au monde que j’ai le
plus aimée et qui me l’a si mal rendu. Elle m’a eue à dix-sept ans. Comme dans Nana, je l’ai amusée jusqu’à trois ans. J’étais comme une poupée pour elle,
après elle a pris des amants, elle m’enfermait pour les voir, m’a inscrite en
pension. Elle m’habillait avec ses vieux vêtements, j’avais l’air d’une
pauvresse. Mon père parti au front, elle a dû se mettre à travailler et m’a
placée chez les Sœurs.
    Elle était première vendeuse chez Lanvin. Là, elle trouvait
à satisfaire son goût pour le luxe et l’amour. Elle aimait le sexe pour le
sexe, c’était une jouisseuse, pas une nymphomane. Elle avait une peau
extraordinaire et des cheveux blonds immenses qu’elle a fait couper car c’était
la mode.
    Elle attirait les hommes. Je devais l’appeler par son prénom
« Gabrielle ». Ce n’était pas une mère, elle avait quelque chose de
dénaturé, de monstrueux…
    Elle buvait, jouait, me volait pour assouvir sa passion, je
crois qu’elle m’aurait souhaitée courtisane pour l’entretenir.
    Sa vie fut comme un roman. Elle est née à un bout de Dieppe,
l’embarcadère, pour mourir à l’autre bout, les falaises. Elle a fait la boucle.
Elle est partie, après l’extraction de ses dents de sagesse, une hémorragie
s’est déclarée et, se vidant de son sang, elle est morte seule sur les rochers.
A la fin, elle ne buvait plus que du Champagne et ne mangeait que des huîtres.
    Durant le mois qui a suivi sa mort j’ai reçu des modèles
haute couture de chez Patou qu’elle avait commandés et que j’ai dû payer.
C’était une femme à dettes, sa vie entière, elle en a fait.
    Voilà tout ce que je peux dire sur ma mère mais j’ai aussi
beaucoup aimé mon père. Maman était flamande et lui normand. Je porte en moi
ces deux origines, mais si je ne ressens rien en Belgique à Ostende, l’odeur du
tilleul de Normandie me fait pleurer. Je pense à un soleil de Turner. Dans
l’Orne, ma grand-mère avait une maison avec un tilleul. A cinq ans, elle m’a
fait jurer de ne jamais le couper. Quand j’ai vendu la ferme, je n’ai pensé
qu’au tilleul, je l’avais trahie.
    Plus que tout, mon père désirait un garçon. Quand je suis
née, il ne m’a même pas regardée. Je l’ai connu, j’avais six ans. Entre-temps,
comme Céline, il s’était engagé volontaire dans l’armée, la
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