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Céline secret

Céline secret

Titel: Céline secret
Autoren: Véronique Robert
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fils,
l’intelligence en moins. C’était Louis en plat. Sans cesse anxieuse et
pessimiste, elle incarnait la misère digne qui se tient. Elle était une
brodeuse qui ne portait jamais de dentelle. La dentelle, c’était pour les
femmes du monde qui avaient de l’argent, c’était normal. Une bijoutière non
plus ne portait jamais de bijoux, c’était comme ça, c’est tout. A la cliente,
on ne devait que le respect car c’est elle qui nous faisait vivre. Il a fallu
qu’elle meure pendant l’exil, le 6 mars 1945, qu’elle devienne un fantôme, pour
que Louis qui était mystique l’accepte. Il ne s’est jamais révolté contre elle
ouvertement. Avoir écrit Mort à crédit lui a suffi. Il lui avait, pour
la ménager, interdit de lire l’ouvrage et elle ne l’avait pas lu. Plus que
tout, il ne pouvait admettre qu’elle ait pu penser : « si mon fils
est tué au front, eh bien tant pis ! il sera mort pour la France »,
qu’elle l’accepte comme une fatalité parmi d’autres, il ne pouvait le
comprendre. La mort d’un homme jeune restera pour lui l’injustice suprême,
l’inacceptable, et déterminera sa vocation médicale.
    Je n’ai pas connu le père de Louis, il venait de mourir
quand nous nous sommes connus. Il est mort en 1932. Il avait choisi une vie
rangée et travaillait dans une compagnie d’assurances « le Phénix ».
C’était un homme mécontent qui, comme beaucoup de gens à l’époque, rendait
responsables de tous ses malheurs les juifs et les francs-maçons. Louis l’a
entendu en dire du mal toute son enfance comme un arrière-fond sonore.
    Le plus important pour Louis dans l’amour n’était pas l’acte
sexuel, un choc biologique c’est tout. Ce qui comptait, c’était la pensée qu’on
en gardait. En règle générale, il ne couchait jamais plus d’une fois avec une
femme. Dans sa jeunesse, son appétit sexuel était immense et il ne pensait qu’à
le satisfaire. Ensuite, il est devenu plus sélectif. Il cherchait la perfection
et ne la trouvait pas. Seule une danseuse pouvait s’en approcher.
    Un jour, rue Lepic, alors que je rentrais de tournée à
l’improviste, j’ai trouvé une fille installée dans l’appartement. J’ai refermé
la porte et je suis repartie immédiatement ; je n’avais pas atteint le
rez-de-chaussée que des valises dégringolaient dans l’escalier suivies de la
jeune fille en question. Je partais comme on se suicide, je ne disais rien.
    Avec Louis, on ne parlait jamais, c’était comme ça c’est
tout. La littérature, on n’en parlait pas, la musique non plus, on était
ensemble avec elles et c’était le plus important.
    Quand pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’est engagé
sur le bateau le Shella, j’habitais chez sa mère et, là encore, je
m’apprêtais à partir sans un mot car je sentais que je gênais lorsque, par
miracle, il est rentré, comme s’il l’avait senti.

 
CHAPITRE V.
     
    TROIS JOURS À DIEPPE. LA VIE QUI COMMENCE, RUE LEPIC, RUE
MARSOLLIER, SAINT-GERMAIN-EN-LAYE, L’AM-BULANCE, RUE GIRARDON.

 
    Aujourd’hui nous partons trois jours pour Dieppe. Dieppe
c’est la capitale du vent, de la mer et des mouettes. C’est là aussi que nous
attend Jonathan, le goéland préféré de Lucette qui vient dès l’arrivée réclamer
du pain sur notre balcon, et se fâche si on l’oublie, dans un grand concert de
cris de colère et de battements d’ailes. Dans l’immeuble, ancien hôtel où la
reine Victoria avait coutume de descendre, où Proust et sa mère avaient aussi
leurs habitudes, Lucette possède trois grandes chambres, posées l’une à côté de
l’autre. Au mur, des tableaux de bateaux, ex-voto naïfs qui serrent le cœur.
Dans la chambre-sauna, dans la chambre-salle-de-bains, dans la chambre-cuisine,
on ne voit que la mer immense qui s’étend à l’infini. Juché sur des lits,
surélevé par des coussins, on fait toute notre vie avec elle. On dort, mange,
se lave, on parle et l’on se tait. Elle pénètre partout, nous envahit de son
odeur verte et liquide, de sa beauté grise faite de ciel, de galets et de
mouettes. Bientôt on n’est plus qu’une surface de peau à vif qui s’imprime de
sa couleur.

 
    J’ai habité très peu de temps rue Lepic. Au 98, Louis y avait
une chambre où il passait de temps en temps. C’était une seule grande pièce,
dans une cour, avec des anciennes écuries. Au mur, il avait affiché des
citations d’œuvres littéraires qui lui plaisaient,
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