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Céline secret

Céline secret

Titel: Céline secret
Autoren: Véronique Robert
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été
furieux. Je pensais qu’il allait me quitter deux mois après, mais je ne lui
posais aucune question, je ne m’installais pas, je ne disais rien et puis
j’avais ma danse. Personne ne pouvait le saisir, c’était un esprit, il était
comme de l’eau.
    A Montmartre, ce n’était pas le bonheur, c’étaient des coups
de joie. Le quartier de l’époque était un vrai village, on sifflait pour
s’appeler, je circulais à vélo car il n’y avait pas de voitures. On nous avait
coupé le téléphone et j’allais appeler au Moulin de la Galette, tenu par une
ancienne et pittoresque prostituée qui nous disait : « je vous
laisse », comme si nous avions été des clients.
    Louis connaissait bien Jo Varenne, le propriétaire du Balajo
qui faisait partie de la pègre. Des « gagneuses » travaillaient pour
lui et lui rapportaient une fortune, mais il était désespéré car, disait-il,
« avec mon argent, je peux tout me payer, sauf le bac ». C’est lui
qui nous a annoncé un jour : « Il y a chez moi une gamine étonnante,
elle vend des fleurs et elle chante. » C’était Edith Piaf. Elle était
minuscule et tellement impressionnante. De toutes ses forces, elle chantait
debout sur une table, semblable à un moineau qui ouvre un bec immense.
    En même temps c’était l’Occupation, le marché noir. On
pouvait acheter tout le monde avec un bout de pain ou des gâteaux.
    Je savais que Louis aimait être là quand je donnais mes
cours : regarder mes élèves lui donnait une énergie nouvelle, comme une
transfusion de vie. La jeunesse l’absorbait tout entier. A Meudon aussi, il
rêvait en regardant les danseuses ; il entrait en contemplation infinie
comme il pouvait le faire avec l’eau, les bateaux.
    Gen Paul aussi était présent, il croquait mes élèves,
c’était son métier. Les scènes de Féerie sont transposées, mais tout le
monde veut qu’il y ait eu des partouses. Quand à la fin du livre Louis décrit
une scène avec Gen Paul et moi, j’ai tout de suite pensé à mon père lisant le
passage.
    Louis aimait chez Gen Paul son côté authentique, le vrai
argot qu’il parlait. Il était bluffé aussi par sa facilité à créer. Je n’ai
jamais couché avec lui et il m’en a toujours voulu. Il m’appelait « la
pipe » à cause de mon long cou et me disait : « tu ne voudras
jamais coucher avec moi pour ça » et il me montrait sa jambe de bois.
    Louis faisait semblant d’ignorer que Gen Paul, qui m’avait
remarquée le premier, me désirait.
    Henri Mahé aussi habitait le quartier. Il était plus
décorateur que peintre et aussi faux que Gen Paul était authentique. Comme on
n’avait pas le téléphone, Louis lui faisait parvenir des petits mots griffonnés
pour lui fixer rendez-vous dans des cafés. Il s’en est servi par la suite pour
écrire ce qu’il a voulu sur Céline. Tous ces souvenirs sont pénibles à évoquer.
    Le Vigan aussi me pourchassait. Il m’offrait du café,
frappait à ma porte en disant : « Toc, toc, toc, c’est le chat Bébert. »
    Céline avait coutume de dire : « Entre un acteur
qui joue Napoléon et Napoléon, un seul est Napoléon. » C’était exact, mais
Le Vigan se prenait vraiment pour Napoléon, il était Napoléon. Lui qui était si
maigre, il ne pensait qu’à manger : c’est pour qu’il trouve à se nourrir
qu’on a gagné Sigmaringen. Il dévorait même la pâtée de Bébert. Bébert a
d’abord été son chat et ils se disputaient horriblement. La Vigue lui parlait
comme à un homme et Bébert crachait pour lui répondre. Cet énorme chat tigré est
mort à vingt ans à Meudon, décharné. Il avait refusé qu’on le laisse chez
l’épicier à Sigmaringen. Il préférait mourir de faim avec nous.
    C’étaient tous des personnages avec leurs vices et leurs
qualités que l’Occupation révélait. Louis avait besoin d’eux pour ses romans.
Il les aimait tels qu’ils étaient avec tous leurs défauts. Gen Paul me faisait
voir des portraits qu’il faisait de moi et il les déchirait. Le Vigan était
réellement fou et il me disait : « Lucette, tu te moques de la vie
d’un homme. »
    Marcel Aymé aussi habitait là. Il avait une maladie des
nerfs qui l’empêchait de soulever les paupières. Je l’appelais « la
tortue ». Comme Dubuffet, il était très conventionnel et ne parlait que
quand il était en confiance. Il est mort six ans après Louis.
    C’était l’Occupation et il fallait vivre.
    On ne pouvait
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