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Céline secret

Céline secret

Titel: Céline secret
Autoren: Véronique Robert
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de reparties.
    La mère de Louis venait nous voir tous les jeudis. Elle
avait souffert de rachitisme et en avait gardé une jambe plus courte que
l’autre qui la faisait boiter. Céline travaillait, elle restait là avec moi
tout l’après-midi et puis je la raccompagnais au métro Abbesses. « Bonjour
maman, au revoir maman », leur conversation se limitait à ces deux
phrases. Louis d’ordinaire si franc, si direct, n’a jamais pu la regarder en face,
son regard la fuyait mais elle demeurait sa mère et il la respectait.
    Quand nous avons quitté les lieux, en juin 1944, Céline a
laissé les manuscrits de trois romans inachevés, dont la fin de Guignol’s
Band, qui n’ont jamais été retrouvés. Il savait juger les gens tout de
suite, du premier coup d’œil, c’est pour ça qu’on ne voyait personne.
    A cause de son enfance, il aimait l’opérette ; Fifi le faisait rêver. J’étais étonnée, mais je ne disais rien. Louis pensait que ce
qu’on sent, on ne le dit pas. C’est vulgaire et grossier de parler de ses
sentiments. Moi aussi, si j’ai été exhibitionniste de mon corps, je ne l’ai
jamais été de mes pensées.
    Je donnais des cours de danse à des professionnelles et je
mettais au point ma méthode.
    Louis voulait que je la dépose mais j’étais trop timide.
Après, les Russes se la sont appropriée et, à l’Opéra, on s’en est largement
inspiré. On l’enseigne encore sous le nom de « barre à terre ».
    Je prenais aussi des cours de danse acrobatique avec un
professeur qui s’appelait Saunier. C’était une école très dure. Le funambule
n’a pas droit à l’erreur ; si un mouvement n’est pas parfait, il tombe.
L’équilibre est la façon la plus juste de travailler.
    Malheureusement comme pour la danse classique, ma trop
grande souplesse m’a empêchée de continuer.
    Ce Saunier a eu deux filles complètement fantasques qui,
âgées de soixante-dix et soixante-quinze ans, l’une veuve l’autre célibataire,
recevaient dans leur maison de Saint-Germain-en-Laye dans une ambiance de
cauchemar. Les pièces étaient remplies de photographies de leur père et de
chats empaillés, elles servaient le repas dans des cendriers minuscules,
s’absentaient à la cuisine pour accueillir un soi-disant ami, s’en revenaient
costumées, se faisant appeler par le nom du nouvel arrivant, avant de
distribuer aux invités un masque permettant à chacun de participer à ce jeu de
rôle loufoque et morbide.
    C’étaient des personnages de roman dont Louis se serait
sûrement emparé s’il les avait connus.
    La période où nous avons vécu à Montmartre demeure une
période à part. Ce que j’y ai vécu reste mon jardin secret. Louis avait des
maîtresses dont il me parlait. Ça l’excitait de me raconter. Il avait besoin de
ces visions, de ces fantasmes sexuels pour créer. C’est seulement quand
l’ébullition dans sa tête était au plus fort qu’il se mettait à écrire. Il
était comme en transe et, peu à peu, par le travail de l’écriture, il
retrouvait son calme.
    J’ai toujours refusé de faire des partouses pour lui,
j’écoutais ses confidences, mais je n’engageais pas mon corps. Il a toujours
aimé les femmes un peu lesbiennes qui s’offraient en spectacle et qu’il pouvait
regarder pour nourrir son imaginaire. Je ne participais pas à ces jeux mais
pour Louis, l’idée y était.
    Dans une lettre datée du 28 février 1948 à Milton Hindus,
universitaire américain avec lequel il a un moment correspondu, il s’en est
clairement expliqué : « J’ai toujours aimé que les femmes soient
belles et lesbiennes – Bien appréciables à regarder et ne me fatiguant point de
leurs appels sexuels ! Qu’elles se régalent, se branlent, se dévorent –
moi voyeur – cela me chaut ! et parfaitement ! et depuis
toujours ! Voyeur certes et enthousiaste consommateur un petit peu mais
bien discret !… »
    Quand la sexualité est là, qu’elle s’exprime pour un homme
ou pour une femme, pour moi c’est la même chose. Je dois aussi avoir un côté
qui attire les femmes car j’ai souvent eu des sollicitations homosexuelles.
    Quand Louis a voulu m’épouser, j’ai eu très peur. Ce
jour-là, le 23 février 1943, à la mairie du XVIII e , seuls Gen Paul
et sa femme Gaby, nos témoins, étaient présents.
    Après la cérémonie, Céline est remonté se mettre au travail
immédiatement. Il n’a même pas offert un verre à ses amis. Gen Paul en a
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