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Céline secret

Céline secret

Titel: Céline secret
Autoren: Véronique Robert
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première page, puis une au milieu, deux, trois vers la fin. Il
parcourait quelques lignes à voix haute puis refermait l’ouvrage en me
disant : « Tu as compris. » C’était l’Homme pressé de
Paul Morand.
    Il avait aussi alors un côté Gatsby , nonchalant,
habillé avec soin, décontracté, il était d’une beauté incroyable, les yeux
bleus avec juste un petit rond noir à l’intérieur. On était très différents
l’un de l’autre, mais on s’est tout de suite compris. Les sentiments humains,
on ne peut pas les fabriquer, ils vous tiennent, on ne sait pas pourquoi. Je
n’osais pas lui parler, refusais de le tutoyer, je lui écrivais des lettres. Il
n’était pas question pour moi d’avoir une aventure avec lui.
    Entre nous il y a eu une attraction physique très forte,
après nous sommes devenus complices. J’ai attendu un mois avant de coucher avec
lui. J’avais peur de m’engager et de souffrir. Louis avait une réputation de
séducteur et je me méfiais. Je ne l’ai pas fait exprès, mais je n’aurais pas pu
mieux agir. Il avait horreur de toutes ces filles faciles qu’il fréquentait.
    Je l’ai aimé et épousé alors qu’il avait vingt ans de plus
que moi et que je n’avais pas pris conscience que je passerais plus de la
moitié de mon existence sans lui.
    Avant Céline, deux hommes ont compté dans ma vie. Tous les
deux chanteurs, le premier ténor, le second basse. C’est à l’Opéra-Comique que
je les ai connus presque au même moment. L’un avait trente-cinq ans, était
américano-italien et me chantait des airs de La Nouvelle-Orléans. Quand il est
reparti aux États-Unis pour divorcer et préparer notre mariage, j’ai appris
qu’il était marié et je n’ai plus jamais voulu le revoir. C’est avec lui que ma
mère a eu une aventure. L’autre qui me tournait autour était très riche, fils
de famille dont le père, neurologue, travaillait avec Charcot. La famille était
d’accord, mais je n’en ai pas voulu. Il est mort en 40, tué par les Allemands.
    Il n’existe pour moi rien de plus sensuel au monde que le
chant. La voix vient du ventre et exprime l’esprit en même temps. Écouter
chanter m’a toujours procuré une émotion immense. C’est le corps et l’âme
réunis.
    De 1935 à 1940, je voyageais sans cesse car j’avais des
contrats de danse à l’étranger. Cet éloignement a dû placer les choses. Louis
m’envoyait des lettres dans lesquelles il m’écrivait : « C’est avec
toi que je veux finir ma vie, je t’ai choisie pour recueillir mon âme après ma
mort. » Je n’y comprenais absolument rien. Je ne cherchais pas le bonheur
avec lui, j’aspirais simplement à le rendre moins malheureux. Il avait besoin
de ma jeunesse et de ma gaieté, et moi de sa tête d’homme qui avait vécu. Voilà
pourquoi on s’est emboîtés tout de suite l’un dans l’autre.
    C’était un être désespéré, d’un pessimisme total, mais qui
en même temps nous donnait une force incroyable. Il y avait chez lui une
intensité dans la tristesse que tout le monde fuyait. Je suis restée car je
n’étais pas vraiment dans le monde, j’avais tout donné à la danse.
    Quand on s’est connus, Louis en même temps qu’il a perçu ma
désillusion, a vu au même moment mon côté si naïf. C’est ce contraste et ce
mélange de tristesse et de candeur qui lui ont plu. Je n’ai jamais pesé sur
lui, c’était ma force sans le savoir, car il ne voulait pas qu’on l’enchaîne,
qu’on l’empêche de s’évader. C’est ce sentiment d’enfermement au sein de la
haute bourgeoisie rennaise qui avait brisé son mariage avec Edith Follet.
    C’était un sentimental, un fétichiste qui gardait tout, même
la vieille casserole cassée de sa mère. J’ai mis vingt-cinq ans à le connaître.
Il est plus facile à comprendre qu’à expliquer car le plus souvent il disait le
contraire de ce qu’il pensait. Il ne voulait pas montrer sa tendresse, alors il
agressait, même avec moi il a été horrible. A Meudon, il a eu dix ans d’agonie.
Il ne supportait pas mon absence, refusait que je travaille trop, insistait pour
que je mange, et il hurlait sans cesse. Personne n’a compris, mais c’est qu’il
m’aimait trop.
    Toute ma vie avec lui, c’est comme si on m’avait cassé du
verre dans le cœur. Il était comme une fleur dont je devais sans cesse tenir la
tige droite. Je l’ai complètement maintenu.
    La mère de Louis avait le même caractère que son
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