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Céline secret

Céline secret

Titel: Céline secret
Autoren: Véronique Robert
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ballons. Je les
redressais, leur apprenais à respirer, à être dans leur corps. C’était
épuisant. Comme pour les chiens, plus les êtres sont perdus, moches, abandonnés,
plus j’ai besoin de les aider. J’aimais créer des ballets sur des musiques de
Couperin ou de Rameau que j’allais chercher à la grande bibliothèque de
Musique. Je créais des danses hindoues ou orientales sur des airs classiques
dont on m’avait fourni la transcription. J’adorais mettre ensemble des choses
qui n’avaient rien à faire les unes avec les autres, comme j’ai toujours fait
aussi avec les gens, les animaux : des grands brassages bariolés.
    Malheureusement mes chorégraphies ne pouvaient être interprétées
que par de vrais danseurs qui connaissaient parfaitement la technique. A
Montmartre, j’ai pu les faire travailler à mon idée mais j’ai dû renoncer par
la suite à cause de la distance qui, à Meudon, me séparait des professionnels.
    Louis s’apprêtait à écrire un livre sur la danse quand il
est mort. Il souhaitait expliquer ma méthode avec ses mots à lui.
    J’avais aussi une passion pour les castagnettes. J’en jouais
sur du Couperin, ce qui choquait beaucoup, comme d’un vrai instrument de
musique avec des harmoniques. Elles étaient complètement façonnées à ma main et
je m’entraînais tous les jours comme j’aurais pu faire pour le piano, avec deux
mains différentes qui se répondaient. J’avais appris toute seule à l’aide d’une
méthode. Mes castagnettes faisaient partie de moi, c’était un morceau de mon
corps. Elles ont brûlé en 1968 dans l’incendie de ma maison et je n’en ai
jamais rejoué.
    Aujourd’hui, j’aime bien Pina Bausch, elle est comme une
algue dans l’eau. Comme Isadora Duncan, ce sont des femmes de caractère, mais
qui ne peuvent faire école. Les élèves n’ont pas le même feu et ce qu’elles
font meurt avec elles.
    Noureev a été le plus grand des danseurs, c’était une
mécanique extraordinaire qui possédait aussi une âme. Il faut l’avoir vu danser
pour comprendre, c’était un fauve, une bête sauvage. Il cassait le trop grand
classicisme, les conventions. C’était bouleversant.

 
CHAPITRE IV.
     
    AU TOUT-PARIS DANS LE CIEL. CÉLINE : LA RENCONTRE.

 
    Tout en haut de la Samaritaine se trouve un lieu enchanté
où souvent, avec Lucette, nous sommes allées prendre le thé. Perchées dans le
ciel comme deux nuages, nous restions silencieuses, des heures durant, à
contempler le reflet irisé de l’eau sous les ponts, les toits gris de Paris et
le ciel d’ardoise.

 
    Quand j’ai rencontré Louis, je voulais mourir, je trouvais
la vie si triste. Je n’avais pas d’amis, je ne parlais pas, j’étais entièrement
tournée sur moi-même et la danse.
    Je prenais des cours chez M me  Blanche
d’Allessandri, rue Henri-Monnier, c’est là que j’ai connu Louis, amené par Gen
Paul.
    M me  d’Allessandri était un professeur d’une
rigueur et d’une exigence implacables. Jeune danseuse étoile, elle avait vu sa
carrière s’arrêter à la suite d’une chute et d’un genou fracturé dans un
théâtre à Buenos Aires. Armée d’une baguette, elle nous corrigeait à la moindre
erreur dans l’exécution d’un mouvement. Pour progresser et apprendre à dominer
sa souffrance, cette discipline de fer est la seule école possible.
    Je me souviens qu’elle avait une habitude étrange qui
m’avait frappée ; à leur mort, elle faisait empailler tous ses animaux et
les mettait chez elle en décor, là où ils avaient coutume de se tenir. Je
n’avais pas assez d’argent pour payer régulièrement mes leçons, alors Louis,
discrètement, déposait un billet pour moi en s’en allant. Pour les jouer, ma
mère me volait les premiers cachets que je touchais. De la même façon par la
suite, quand j’ai commencé à voir Louis, elle me dérobait l’argent qu’il me
donnait pour aller le rejoindre chez lui, rue Lepic, en taxi.
    J’avais vingt-trois ans, lui quarante et un à notre première
rencontre. Il me donnait rendez-vous au Luxembourg, il ne parlait pas, il
cherchait ma force.
    On s’asseyait à une table pour déjeuner. Là, il commandait
deux biftecks, dévorait le sien en cinq minutes et me disait : « On y
va. » Je n’avais pas touché à mon plat.
    De la même façon quand nous allions au cinéma, il regardait
les premières images du film et m’entraînait dehors. Les livres, il les ouvrait
au hasard, la
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