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Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser
Autoren: Patrick Segal
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touchai
pas. Ma joie était si grande que j'avais envie de crier, d'inventer des
slogans. Je venais de faire ma révolution, avec déclaration des droits de
l'homme, après tout ce temps dans les hôpitaux. Je regardais mes voisins mordre
à pleines dents dans la chair blanche des pommes. Tout bas je répétais, comme
un conspirateur : « Famine, je te hais. »
    J'arrivai
à Pékin un peu avant Noël, ce qui faillit provoquer un incident diplomatique.
    L'ambassade
m'avait accueilli à ma descente d'avion, m'avait trouvé une chambre d'hôtel et,
comble de délicatesse, m'avait aidé dans mes démarches auprès des médecins de
l'hôpital de la Capitale, anciennement « hôpital anti-impérialiste ». Pourtant,
à l'approche de la fin de l'année et de la réception donnée par l'ambassadeur
de France, M. Etienne Manach, qui allait devenir mon ami, presque mon tuteur,
un problème se posait : allait-on inviter cet homme immobile au bal du 31
décembre? Les gens du protocole, n'ayant sans doute jamais entendu par1er de
Roosevelt et de sa chaise roulante, rejetèrent ma présence à cet événement.
    J'appris
cela un soir en sortant de l'hôpital où je venais de recevoir mon traitement
d'acupuncture. La température, qui d'ordinaire avoisine — 10°, était subitement
montée à + 5°. On aurait dit le printemps. Tout à coup, sous un ciel de plomb,
la première secousse arriva, ébranlant les immeubles, faisant jaillir des cris
de panique de la population très dense dans les rues commerçantes de Pékin. La
terre résonnait; son courroux fit quelques années plus tard un million de morts
dans la région de Tien-Tsin, tout près de Pékin.
    En
rentrant à l'hôtel, un message m'attendait : l'ambassadeur en personne me
conviait à la soirée du premier de l'an. Je remerciai la terre, moi qui ne
pouvais plus marteler ses plaines de mes pieds endormis.
    Je
me fis des amis dans cette ambassade, et à tous les niveaux : gradés comme
coopérants, secrétaires, chauffeurs, et surtout Jean-Philippe qui me fit
découvrir Pékin et ses trésors, le temple du Soleil, la Grande Muraille, les
petits bistrots du lac des Dix Monastères.
    Maintenant
que la Chine n'est plus qu'un souvenir, je repense à ces gens du bout du monde
qui m'apportèrent des livres, du fromage et toujours un mot pour consolider ma
forteresse à deux pas du désert.
    J'organisais
mon temps dans cette chambre qui regardait le temple du Ciel. J'écrivais, je
lisais, j'écoutais de la musique, je regardais l'oiseau. Le soir, je mangeais
seul, alors qu'à l'autre bout du restaurant le correspondant du Monde prenait son repas en silence. J'eus beau l'inviter à ma table, rien n'y fit. Il
est vrai que je n'avais pas de titres, peu de diplômes et que, chose suspecte
avant tout : j'écrivais.
    Quand
les équipages d'Air France s'arrêtaient une nuit, j'écoutais leur conversation
à la grande table du restaurant. Ils parlaient de Paris, de la crise de l'énergie,
des derniers films. J'avais de quoi rêver pour un mois.
    Quelques
colis m'arrivaient grâce à la gentillesse des gens du bureau d'Air France qui
m'avaient donné Rouge-Neige,
    Il
y avait bien un autre Français dans cet hôtel mais il ne parlait pas. Dommage !
car ce passionné de l'Amazonie, qui se faisait parachuter en brousse pour vivre
avec les Indiens, m'aurait fait rêver, moi qui ne connaissais encore rien du
monde.
    Le
soir, très tard, je me rhabillais, sortais de ma chambre et allais manger une
soupe de nouilles avec les chauffeurs de taxi venus se réchauffer. Ce rituel
créait des liens avec le personnel de l'hôtel. Rien de bien étroit ! juste un
sourire, une complicité.
    Ainsi
se passa une année, apparemment bien « programmée ». Mon temps était pris dans
une forteresse qui interdisait aux courants d'ennui ou d'angoisse de la
traverser. Mon système « de jour » était, certes, efficace — bien que peu
sophistiqué — mais la nuit, peuplée de cauchemars, prenait sa revanche. La nuit
m'empêchait tout simplement de dormir. Je macérais pendant des heures, à remuer
des souvenirs, avant de trouver le sommeil.
     
    *
     
    L'histoire
de Ron, cet Américain victime de la guerre du Viêt-Nam, me hantait. Son
histoire était celle d'un combat et d'une révolte. Non seulement d'une révolte
contre la folie de la guerre, mais d'une révolte contre sa condition de
paraplégique;- contre cette éternelle « assistance », récupération, répression
des pouvoirs publics et politiques,
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