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Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser
Autoren: Patrick Segal
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naissance ?
    «
— Je ne sais plus, je ne sens plus rien...
    «
— Religion ?
    «
— Sauvez-moi, sauvez-moi ! Quand allez-vous  m'opérer ?
    «
— Du calme, mon gars, on a eu beaucoup de «boulot avec vous autres. Ton tour
viendra. »
    «
Me voilà seul dans le coin de cet hôpital de campagne, seul avec ce corps mou
et puant. Le curé est passé pour me donner l'extrême-onction.
    «
— Je suis prêt, mon père : je me suis battu jusqu'au bout. Je suis un bon
soldat. Quand va-t-on m'opérer? »
    «
L'infirmière est venue avec le masque à oxygène. Me voilà aux portes de la
nuit, délivré de ce corps pourri. Je suis un bon soldat, je saurai me battre
dans le froid de la mort.
    «
Je me suis réveillé peu après l'opération, au milieu de cris étouffés. Une
forêt de tubes partent de mes bras, de mon ventre, la machine pompe
inlassablement pour m'apporter l'air nécessaire à ma respiration. Je dépends
d'elle totalement. Quand la nurse vient me faire la morphine, j'essaie de lui
sourire avec les yeux, mais elle ne me voit pas. Elle ne voit que les moignons
du cul-de- jatte entourés de gelée rose.
    «
La machine-pompe vient de s'arrêter. J'étouffe. L'infirmière a sauté sur mon
ventre et de tout son poids écrase mes côtes. Ça y est ! c'est reparti. Elle
s'assoit près de moi, essuie la sueur de son front et allume une cigarette.
    «
Deux médecins passent près de mon lit en parlant de la saison de football.
" La machine, bordel ! " crie l'un d'eux. Ça y est, c'est la panne à
nouveau. L'infirmière m'écrase comme un sac de papier vide. L'un des deux
médecins a réussi à rebrancher la pompe diabolique. « Je parie sur  l'équipe
des Dallas Cow-boys, qui a fait un bon début de saison », dit-il en refaisant
l'épissure sur le fil de branchement.
    «
L'infirmière crie après un jeune pilote qui vient de pisser et de chier dans
ses draps propres. Elle peut crier jusqu'à en crever, il ne l'entend plus... il
est déjà très loin, loin au-delà de la guerre, loin dans sa tête qui ne sait
plus que sourire.
    «
Aujourd'hui, nous avons eu la visite d'un général qui nous a remis une médaille
et puis a posé auprès de mon lit pour la photo polaroïd. « Votre famille sera
fière de vous, dit-il. Au nom « du président des Etats-Unis, je vous remets
cette décoration. » Il dit cela au jeune pilote qui baigne à présent de la tête
aux pieds dans ses excréments. Il arrête son discours. Le petit jeune homme, si
loin déjà, vient de mourir.
    «
Bientôt je quitterai le Viêt-Nam pour toujours. »
    Au
fond de ses yeux roses, le silence s'était fait plus grand. Dans ma bouche, le
goût de rouille était revenu lorsque j'avais pensé à cet hôpital suisse où l'on
m'avait transféré. Il n'y pleuvait pas de bombes. Les infirmières ne sautaient
pas à pieds joints sur le ventre des malades. Le médecin-chef, dans sa drôle de
chaise roulante, ne parlait pas de football. Pourtant, savait-il encore rire ?
Que voulait-il de nous, ce docteur si froid? Que cherchait-il au fond de nos
corps?
    Ce
matin-là, deux semaines après l'accident, il était entré dans ma chambre en
silence, comme pour ne pas déranger les rais de soleil qui faisaient sur la
couette du lit un tapis imaginaire.
    «
J'ai examiné les résultats de la cystographie, et je crois qu'il est temps de
procéder à une petite intervention. Cela d'ailleurs ne changera rien à votre
vie. C'est simplement une petite fente au bistouri dans le sphincter vésical.
Ensuite, vous ne serez plus embêté... Demain matin, nous allons nous occuper de
ça. »
    J'essayai
de protester : cette opération, quoique bénigne à ses yeux, ne m'apparaissait
pas indispensable si peu de temps après l'accident. Une résection du sphincter,
même partielle, me laisserait incontinent pour le restant de mes jours. Et qui
pouvait dire si une quelconque évolution n'était pas encore possible? Mes protestations
lui firent monter quelques couleurs aux joues.
    «
Vous n'avez pas à discuter les traitements que l'on vous prodigue dans mon
établissement ! »
    Nous
étions restés sur nos positions et l'opération ne se fit pas. Ce n'est que plus
tard que je compris les raisons de ce docteur coincé dans sa chaise roulante.
Il s'intéressait à la maladie, et non pas au malade.
    Ron
se remit à parler, plus lentement cette fois, comme s'il pesait chaque mot. Je
voyais avec lui la grosse nurse en train de le pousser avec le chariot sous la
douche. « Ça ressemble,
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