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Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser
Autoren: Patrick Segal
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    I
     
    LA PROMESSE
     
     
     
    J'ai débarqué à Paris
un jour de janvier 1976, venant directement du soleil, et Paris m'a pris à la
gorge. J 'ai cherché un rouge écarlate à
l'horizon, et je n'ai trouvé aucun horizon. J 'ai
cherché Pékin, ma ville pourpre, les huttes de bambou du delta du Mékong et
vous mes enfants oubliés des hommes.
    Où
sont mes souvenirs après quatre années d'errance ?
    Pendant
mon absence, l'appartement du pont Mirabeau, où j'habitais alors, a été loué.
Je ne reverrai plus les projecteurs des bateaux-mouches, au travers du
feuillage des arbres du quai, tacheter de marguerites ses murs blanc pâle. J'ai
installé mon campement dans un appartement de la rue Catulle-Mendès, un nom qui
sent la dictée, la récitation et les billes dans une poche de tablier. Et puis dans
le square, un peu en contrebas, j'ai découvert la statue de Simon Bolivar.
Surpris de le trouver là, je me suis arrêté un instant et lui ai dit : « Je
viens de ton pays, Simon, qui m'a tanné le cuir et durci la peau, mais qui sait
cacher tant de merveilles ! »
    J'ai
trouvé que Simon Bolivar avait mauvaise mine, la tête blanchie de crottes de
pigeon.
    En
passant devant la loge, la concierge a crié : « Essuyez vos pieds ! » Je me
suis glissé dans l'ascenseur, si étroit que j'ai dû mettre mes jambes en l'air
et les poser de chaque côté de la porte. Quelle idée aurait eue de moi mon
voisin s'il avait ouvert cette porte ?
    Je
me suis débarrassé de l'ascenseur qui voulait hâtivement redescendre en me
gardant avec lui, puis je suis entré dans ma chambre...
    J'ai
fait le tour de ses meubles en acajou gardés par des portraits d'ancêtres. Une
odeur un peu sucrée, laissée là par l'ancienne locataire, une vieille dame
morte récemment, parfumait la chambre. Dans les tiroirs, voisinaient avec les cuillères,
les fourchettes, les couteaux, des lettres venant du Chemin des Dames. Je me
suis étendu sur le lit, face à l'horloge arrêtée; mon corps s'est enfoncé dans
l'édredon de plumes. Hier, c'était Rio et ses plages. C'était la Chine, cette
chambre en Chine, ma longue solitude et cette interminable traversée qui m'a
ramené à la vie.
    Oui,
c'était hier...
     
     
    *
     
    Mathieu,
assis à côté de moi, avait posé sa tête contre la vitre. Il grillait sa
première cigarette du matin. Autour de nous les voitures s'effaçaient,
l'autoroute se couvrait de brumes. Il restait silencieux, son visage semblait
se décomposer entre ses doigts. Dans le siège arrière de la voiture, ma valise
s'enfonçait lourdement. Dans quelques minutes, nous serions à l'aéroport d'où
je m'envolerais vers la Chine.
    Oui,
je m'en allais vers ce milliard de Chinois et leur drôle de médecine. Nul
n'osait prononcer le mot de guérison, après tout le temps que j'avais passé
dans les hôpitaux auprès des faux dieux de la médecine. Ils m'avaient sauvé de
la mort, permis de respirer, de prendre ma vie en main et parfois d'en rire,
ils m'avaient fait croire en leurs machines, en leur chimie, très peu en leur
amour, et sur le sable d'aujourd'hui mes pas restaient en suspens comme un
oiseau perdu au-dessus de l'océan.
    Je
revenais dans ce pays de Chine pour forcer le destin, peut-être aussi pour en
finir avec cette vieille angoisse du « ai-je bien tout essayé? ». Peut-être
alors, quand tout aurait été tenté, pour- rais-je prendre mon envol dégagé de
ce corps marionnette.
    Soudain,
Mathieu me raconta une histoire qui lui était arrivée la nuit dernière, alors
qu'il se trouvait de garde à l'hôpital. On lui avait amené un type qui avait
tenté de se suicider. Il était impliqué dans une affaire de « came ». On
voulait lui en coller pour quinze ans. Quand Mathieu s'était approché de son
lit, le type lui avait pris la main et lui avait dit :
    «
Ecoute, petit, j'ai quarante-huit ans. Mes gosses y me reverront plus. Tu
m'entends ? Quinze ans c'est trop. (Des larmes roulaient sur ses joues.) Je te
promets, petit, que j'me tuerai s'ils m'envoient là-bas. »
    Je
regardais Mathieu, j'écoutais son histoire : n'allais-je pas moi aussi en
prendre pour quinze ans ? Je regardais ses mains, ses doigts longs, trop fins
pour ce corps massif, des mains d'acteur pour un théâtre nô, dans un décor de
salle commune, où il avait choisi de vivre au contact des mangeurs d'oubli, des
camés. La mort réveillait ma mémoire et me rappelait ce matin du 6 avril 1972,
quand en une fraction de seconde la balle de
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