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Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser
Autoren: Patrick Segal
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plomb avait fracassé mon corps
pour le plonger dans sa longue nuit. Vingt-quatre ans réduits en fumée. Mais
pourquoi? Pourquoi mon horizon avait-il basculé sous le souffle du revolver?
Pourquoi cette arme était-elle tenue par la main d'une jeune fille? Pourquoi la
mort au début de ma vie ? Pourquoi ? Cet écho s'en était allé, avait traversé
les hôpitaux et continué à déchirer mon corps. L'écho s'était perdu dans ses
couloirs froids... Tous ces mois d'hôpital qui vous recouvrent comme autant de
masques. Tous ces mots d'hôpital aussi, que l'on se prononce tandis que le
silence envahit le corps : « Pour être libre il faut guérir ! »
    Aujourd'hui,
j'avais bourré ma valise et je m'en allais sans me retourner.
    Je
pénétrai dans l'aéroport, tenant serré mon billet dans la main, comme pour ne pas
me perdre; puis j'allai faire enregistrer mes bagages. Mathieu marchait
silencieusement à côté de moi. Il portait ma valise si lourde, un peu comme un
père qui accompagne son enfant à la colonie. Je regardais ses longs cheveux
frisés, ses yeux bleus, sa barbe de prophète. Un instant, je pensai à ce
mélange étonnant que formait ce personnage passionné de médecine et pourtant
angoissé devant « l'Autre », le soi-disant malade, celui qui ne saura jamais.
    Au
petit matin, après les longues nuits de garde, il enfourche sa moto, sa
femme-météore, et s'enfonce dans les brouillards de la ville. Alors, l'homme
arlequin, tendre et fragile sous sa carapace de muscles, arrête de jouer,
écœuré par son maquillage de clown blanc, de savant, de médecin détenteur de
vérité. Sur l'autoroute frileuse, il s'envole, la poignée des gaz poussée à
fond, pour oublier sa fonction d'interne et retrouver l'essentiel : sa vocation
de médecin, la voix du dedans qui hésite entre « guérir, vivre et mourir ».
    Mathieu
posa ma valise sur la balance, se retourna et me dit : « Il vaut mieux que je
parte. » Tout mon courage, soudain, se déroba. Je voulus dire un mot qui
résumât notre amitié, notre promesse. Je lui tendis la main. C'était comme si
une porte se fermait silencieusement entre nous, tirée par un fil invisible.
    «
Qu'est-ce que vous avez là-dedans ? » Je sursautai, regardai le personnage qui
m'adressait la parole.
    «
C'est pas possible! vous partez pour dix ans? » ajouta-t-il, désignant
l'aiguille de la balance.
    Elle
indiquait 52 kilos.
    «
Monsieur, il y a un homme en morceaux dans cette valise.»
    Il
m'observa d'abord avec ahurissement, puis éclata de rire.
    «
Et il n'en manque pas un, d'morceau, par hasard? »
    Si,
justement. Voilà pourquoi je m'en allais en Chine. Pour reconstituer l'homme éclaté.
S'il le fallait, je le ferais naître. C'était la promesse qui nous liait,
Mathieu et moi.

 
     
    II
     
     
    LE BLUES DE PÉKIN
     
     
     
     
    Ainsi m'étais-je
retrouvé à Pékin, pendant une année, seul dans ma chambre, dans une solitude
profonde. De cette chambre, je sortais une fois par jour, pour ma séance
d'acupuncture. Mon seul compagnon était un oiseau que l'on m'avait offert et
qui, de sa maison de bambou, m'observait de son œil rond et mobile.
    Cet
oiseau-là venait de Shangai où il faisait bon vivre sur les bords du Bund. De
commune en commune, il était arrivé à Pékin dans une cage installée sur le
porte-bagages d'une bicyclette. La famille de l'oiseau avait échappé aux purges
de la révolution culturelle qui avaient rendu infirme la nature. Plus un chant,
plus un nid, rien que le bruit sec de la carabine à plombs dans le duvet tendre
et léger. Cet oiseau-là ne devait pas être ordinaire avec un tel passé.
    En
effet, à ses premières paroles, il me surprit.
    «
Si je comprends bien, tu vis seul? me demanda-t-il le soir de Noël. Pour nous,
Chinois, cela paraît étrange de vivre seul, enfin je veux dire en dehors d'une
communauté. Tu n'as donc pas de travail, de famille, de parti? Et tes amis, où
sont- ils?
    -
Mes amis sont restés là-bas; ils m'attendent... Mais à quelle heure chantes-tu
le matin ?
    -
Je chanterai quand tu commenceras à sourire.
    - 
Je ne comprends pas très bien ce que cela veut dire.
    -
Tu verras, laisse-moi le temps de t'observer, tu es si drôle dans ton carrosse.
Au fond, toi et moi on est dans la même cage.
    -
Oui, mais toi, l'oiseau, tu peux en sortir! Même que je te laisserai la porte
ouverte.
    -
Ce n'est pas la porte ouverte qui fait la liberté mais plutôt de savoir
pourquoi l'on sort. Sur ce point, l'ami, tu es
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