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Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser
Autoren: Patrick Segal
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contre l'institution hospitalière; contre
tout ce qui fait d'un malade un handicapé. Avec Ron, je découvrais l'engagement
et c'était justement ce combat que je désirais, avec les autres, pour les
autres. De cela, il ne me fallait surtout pas « guérir ».
    Je
m'étais fait déposer au Vétéran Hospital de Long Beach, dans
le sud de Los Angeles. Je désirais y saluer mon ami Mike. En sortant de la cafétéria,
quelques minutes plus tard, je rencontrai un drôle de type dans son fauteuil
roulant. Il avait des bacchantes énormes et une volumineuse toison qui lui
tombait sur les épaules. Les manches de sa veste militaire avaient été coupées
au couteau. Il me regardait dans les yeux.
    «
Je m'appelle Ron, et toi?
    -
Patrick.
    -
Tu es français ?
    -
Oui.
    -
Alors viens, on va se fumer un joint. »
    Je
le suivis dans le parc où des dizaines de jeunes en fauteuil roulant se
faisaient bronzer. Ron sortit son papier à cigarettes et commença à rouler du
tabac mélangé à de la came colombienne. J'avais déjà entendu parler de lui. Je
savais qu'il avait écrit un article dans Rolling-Stone qui relatait son «
histoire 1 ». Je le lui dis.
    «
Oui, m'expliqua-t-il, j'ai fait ça pour les copains qui se sont fait dessouder
là-bas au  Viêt-Nam et qui croupissent dans les hostos.
    —
Et si maintenant tu me la racontais, ton histoire? »
    Ron
me regarda attentivement puis, tirant doucement sur son joint, se cala dans son
fauteuil, la tête légèrement penchée, comme pour mieux s'écouter :
     
    «
Le sang coule de mon treillis, probablement de ce trou ignoble, rose et blanc,
qui ricane de mon épaule. Un type hurle dans mon dos : " Ça sent
l'urine... " Qu'est-ce qu'ils foutent, bordel ! Je ne peux plus bouger, je
ne sens plus mes jambes. Là, dans le marigot, le lieutenant me regarde fixement,
une grosse mouche verte fait le va-et-vient sur ses lèvres. Il doit être mort
    1.                                                                                          Ron publiera quelques années plus tard ses souvenirs dans un livre
intitulé : Born on the four of july.
    mais
je m'en fous, je ne sens plus rien. « Sortez-moi de là ! Sortez-moi de là ! »
Je pleure. Je ne sens plus rien.
     
    «
Un grand Noir m'a chargé sur ses épaules tandis qu'autour de nous le
bombardement s'intensifie. « Enfants de salauds ! » répète-t-il entre ses dents
brillantes. Et mes jambes qui ballottent dans le vide, molles et tordues comme
celles d'un pantin. Un obus explose près de nous. Je suis projeté dans le
sable, recroquevillé sur cette moitié de corps qui n'est plus à moi.
    «
J'ai perdu mon fusil là-bas près de la rive mais je m'en fous : vivre,
s'accrocher à cette putain de terre gluante comme de la merde.
    «
Trois gars de mon bataillon m'ont ficelé sur le brancard. Mes jambes, je ne les
sens plus. Je ne peux plus les bouger. J'essaie de respirer calmement. Le
sergent à l'entraînement nous avait dit : « En cas de blessure, restez calmes,
avalez l'air « par la bouche. » Qu'est-ce qu'il en sait, ce con ?
    Ça
y est : on va pouvoir quitter ce coin de merde avec l'automitrailleuse.
    «
Les types, tout autour de moi, gueulent. L'un d'eux qui a perdu la moitié de
son visage, appelle sa mère tandis qu'à côté de moi le petit Andrew, du 57 e régiment de marine, tient ses intestins qui lui sortent d'une énorme plaie
béante. Peu à peu, le bruit du tonnerre s'éloigne ou recule. C'est bon, on va
me soigner... et puis tout repartira comme avant.
    «
Déjà l'infirmier m'enfonce deux grosses aiguilles dans les bras et une sonde dans
le nez. Un homme près de moi a perdu ses jambes et crie comme un enfant tout en
tapant ses moignons contre la carlingue. Son sang s'est transformé en gelée
rose. La nausée me prend. J'ai envie, moi aussi, de crier, de leur dire que je
suis plus esquinté qu'eux et qu'ils doivent fermer leur gueule : « Je ne sens
plus rien depuis la poitrine! Je suis presque mort! Vous m'entendez? » Le
cul-de-jatte frappe de plus belle ses moignons contre la carlingue de
l'automitrailleuse. « Dieu! je vais me calmer, je n'ai pas peur, je te 
promets. » La porte s'ouvre et deux brancardiers couverts de sang séché
empoignent la civière. La lumière est très vive.
    «
— Votre nom, grade et numéro de matricule ! Le nom de votre mère, de votre père
?
    «
— Je vais crever...
    «
— Date de
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