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Une mort très douce

Une mort très douce

Titel: Une mort très douce
Autoren: Simone de Beauvoir
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novice avait renversé le « haricot » plein d'urine ; le lit avait été trempé, et même le traversin. Elle fermait souvent les yeux et ses souvenirs s'embrouillaient. Le docteur T. déchiffrait mal les clichés communiqués par le docteur D. et on devait le lendemain procéder à une nouvelle radio des intestins : « On me fera un lavement au baryte : c'est douloureux ! » me dit maman : « Et on va encore me secouer, me transbahuter : je voudrais tant qu'on me laisse tranquille ! » Je serrais sa main moite, un peu froide : « N'y pense pas d'avance. Ne sois pas anxieuse. L'anxiété te fait du mal. » Peu à peu elle s'est rassérénée, mais elle semblait plus faible que la veille. Des amies ont téléphoné, j'ai répondu. « Eh bien ! lui ai-je dit. Ça n'arrête pas. La reine d'Angleterre ne serait pas plus gâtée : des fleurs, des lettres, des bonbons, des coups de téléphone ! Il y en a des gens qui pensent à toi ! » Je tenais sa main fatiguée ; elle a gardé les yeux fermés, mais sur sa bouche triste un sourire a perlé : « On m'aime parce que je suis gaie. »
    Elle attendait beaucoup de visites le lundi et j'avais à faire. Je ne suis venue que le mardi matin. J'ai poussé la porte et je me suis figée sur place. Maman, si maigre, semblait s'être encore amaigrie et recroquevillée : fendillé, desséché, un morceau de sarment rosâtre. D'une voix un peu égarée, elle a murmuré : « Ils m'ont complètement déshydratée. » Elle avait attendu jusqu'au soir qu'on la radiographiât, et pendant vingt heures on ne lui avait pas permis de boire. Le lavement au baryte n'avait pas été pénible ; mais la soif et l'anxiété l'avaient exténuée. Son visage avait fondu, le malheur le crispait. Que disaient les radios ? « Nous ne savons pas les lire », m'ont répondu les infirmières d'un air effarouché. • Je suis parvenue à voir le docteur T. Cette fois encore, les indications étaient confuses ; pas de « poche », selon lui, mais l'intestin était noué par des spasmes, d'origine nerveuse, qui depuis la veille l'empêchaient de
    fonctionner. Optimiste avec entêtement, ma mère était cependant une nerveuse, une anxieuse : c'est ce qui expliquait ses tics. Trop épuisée pour recevoir des visites, elle me pria de décommander par téléphone le père P., son confesseur. Elle me parla à peine et ne s'arracha pas un sourire.
    « A demain soir », lui dis-je en partant. Ma sœur arrivait dans la nuit et se rendrait à la clinique le matin. A neuf heures du soir, mon téléphone a sonné. C'était le professeur B. « Etes-vous d'accord pour que je place une garde de nuit auprès de Madame votre mère ? Elle ne va pas bien. Vous comptiez ne venir que demain soir : il vaudrait mieux être là dès le matin. » Il finit par me dire qu'une tumeur bloquait l'intestin grêle : maman avait un cancer.
    Un cancer. C'était dans l'air. Et même ça sautait aux yeux : ces cernes, cette maigreur. Mais son médecin avait écarté cette hypothèse. Et c'est bien connu : les parents sont les derniers à admettre que leur fils est fou, les enfants que leur mère a un cancer. Nous y croyions d'autant moins qu'elle en avait eu peur toute sa vie. A quarante ans, si elle se cognait la poitrine contre un meuble, elle s'affolait : « Je vais avoir un cancer au sein. » L'hiver passé, un de mes amis avait été opéré d'un cancer à l'estomac : « C'est ce qui va m'arriver à moi aussi. » J'avais haussé les épaules : il y a une sérieuse différence entre un cancer et une paresse intestinale qui se traite avec de la confiture de tamarine. Nous n'imaginions pas que l'obsession de maman pût jamais se trouver justifiée. Pourtant — elle nous l'a dit plus tard — c'est à un cancer que Francine Diato avait pensé : « J'ai reconnu ce masque. Et aussi, a-t-elle ajouté, cette odeur. » Tout s'éclairait. La crise de maman en Alsace provenait de sa tumeur. Le cancer avait provoqué sa syncope, sa chute. Et ces deux semaines de lit avaient précipité l'occlusion intestinale dont elle était menacée depuis longtemps.
    Poupette, qui avait plusieurs fois téléphoné à maman, la croyait en excellente santé. Plus intime avec elle que moi, elle lui était aussi plus attachée. Je ne pouvais pas la laisser arriver à la clinique et découvrir abruptement un visage, de moribonde. Je l'appelai, peu après l'arrivée de son train, chez les Diato. Elle dormait déjà : quel réveil !
    Il y avait grève des transports, du
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