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Une mort très douce

Une mort très douce

Titel: Une mort très douce
Autoren: Simone de Beauvoir
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passé : l'opération était inutile, le fémur ne s'était pas déplacé, trois mois de repos et il se ressouderait. Maman parut soulagée. Elle raconta, avec désordre : son effort pour atteindre le téléphone, son angoisse ; la gentillesse de Bost et d'Olga. Elle avait été amenée à Boucicaut en robe de chambre, sans aucun bagage. Olga le lendemain lui avait apporté des affaires de toilette, de l'eau de Cologne, une jolie liseuse en lainage blanc. A see remerciements, Olga avait répondu : « Mais, madame, c'est par affection. » Maman répéta plusieurs fois d'un air rêveur et pénétré : « Elle m'a dit : c'est par affection. »
    « Elle avait l'air si confuse de déranger, si éperdument reconnaissante de ce qu'on faisait pour elle: elle fendait le cœur», m'a dit Olga le soir. Elle me parla, avec indignation, du docteur D. Vexé qu'on eût fait appel à la doctoresse Lacroix, il avait refusé de passer voir maman à Boucicaut le jeudi. « Je suis restée pendue vingt minutes à son téléphone, me dit Olga. Après ce choc, après sa nuit à l'hôpital, votre mère aurait eu besoin d'être réconfortée par son médecin habituel. Il n'a rien voulu savoir. » Bost ne pensait pas que maman ait eu une attaque : quand il l'avait relevée, elle était un peu égarée, mais lucide. Cependant il doutait qu'elle se rétablît en trois mois : en soi, la rupture du col du fémur, c'est sans gravité ; mais une longue immobilité provoque des escarres qui, chez les vieillards ne se cicatrisent pas. La position couchée fatigue les poumons : le malade attrape une fluxion de poitrine qui l'emporte. Je m'émus peu. Malgré son infirmité, ma mère était solide. Et, somme toute, elle avait l'âge de mourir.
    Bost avait prévenu ma sœur avec qui j'eus au téléphone une longue conversation : « Je m'y attendais ! » me dit-elle. En Alsace, elle avait trouvé maman si vieillie, si affaiblie, qu'elle avait dit à Lionel : « Elle ne passera pas l'hiver. » Une nuit maman avait eu de violentes douleurs abdominales : elle avait failli demander qu'on la conduise à l'hôpital. Mais, le matin, elle était remise. Et quand ils la ramenèrent en voiture, « enchantée, ravie » — comme elle disait — de son séjour, elle avait repris des forces et de la gaieté. Au milieu d'octobre cependant, environ dix jours avant son avarie, Francine Diato avait appelé ma sœur : « J'ai déjeuné tout à l'heure chez votre mère. Je l'ai trouvée si mal que j'ai voulu vous avertir. » Venue aussitôt à Paris sous un faux prétexte, ma sœur avait accompagné maman chez un radiologue. Après l'examen des clichés son médecin avait catégoriquement affirmé : « Il n'y a pas lieu de vous inquiéter. Une espèce de poche s'est formée dans l'intestin, une poche fécale, qui rend l'évacuation difficile. Et puis votre mère mange trop peu, ce qui risque d'entraîner des carences : mais elle n'est pas en danger. » Il avait conseillé à maman de mieux se nourrir et lui avait ordonné de nouveaux remèdes, très énergiques. « Tout de même, j'étais inquiète », m'a dit Poupette. « J'ai supplié maman de prendre une garde de nuit. Elle n'a jamais voulu : une inconnue couchant chez elle, elle ne supportait pas cette idée. » Poupette et moi nous convînmes qu'elle viendrait à Paris deux semaines plus tard, au moment où je comptais partir pour Prague.
    Le lendemain, la bouche de maman était encore déformée, sa diction embarrassée ; ses longues paupières voilaient ses yeux, et ses sourcils tressautaient. Son bras droit, qu'elle s'était cassé vingt ans plus tôt en tombant de bicyclette, s'était mal raccommodé ; sa récente chute avait abîmé son bras gauche : elle pouvait à peine les remuer. Heureusement, on la soignait avec une minutieuse sollicitude. Sa chambre donnait sur un jardin, loin des bruits de la rue. On avait déplacé le lit, on l'avait disposé le long de la paroi parallèle à la fenêtre, de manière que le téléphone, fixé au mur, se trouvât à portée de sa main. Le buste soutenu par des oreillers, elle était assise plutôt que couchée : ses poumons ne se fatigueraient pas. Son matelas pneumatique, relié à un appareil électrique, vibrait et la massait : ainsi les escarres seraient-elles évitées. Une kinésithérapeute, chaque matin, faisait travailler ses jambes. Les dangers signalés par Bost semblaient conjurés. De sa voix un peu endormie, maman me dit qu'une femme de chambre lui coupait sa
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