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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion
Autoren: Ron Hansen
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deux
mille volts parcoururent Ruth et, à nouveau, elle se cabra contre les sangles.
Il y eut un crépitement. Les cheveux de Ruth prirent feu et des volutes de
fumée ténue se dégagèrent du casque. Elle s’affaissa dès qu’Elliott interrompit
le courant, mais, préférant pécher par excès de prudence, il l’électrocuta
encore une minute entière.
    Le Dr Charles Sweet s’avança et ôta le casque et le
masque. Ruth avait les yeux clos, mais l’électricité lui avait façonné un
sourire grimaçant et de la bave s’écoulait du coin de sa bouche. Sheehy, le
gardien principal, leva une serviette pour dissimuler les seins nus de Ruth aux
témoins, pendant que Sweet cherchait un pouls avec son stéthoscope. Le
Dr Harold Goslin s’y essaya à son tour et secoua la tête. Un troisième
médecin fit de même.
    « Je déclare cette femme officiellement morte »,
proclama Sweet.
    Il était 11 h 04, en ce jeudi 12 janvier
1928. On tira une fusée rouge dans le ciel afin d’avertir les journalistes en
faction devant le pénitencier.
    Les assistants approchèrent et transférèrent avec précaution
le corps électrocuté sur le plateau blanc émaillé étincelant d’une civière à
roulettes. La blouse de Ruth n’avait pas seulement vocation pudique ; elle
évitait aussi aux auxiliaires de se faire mal en soulevant de la chaise le
cadavre brûlant de Ruth. On le conduisit jusqu’à la morgue carrelée de blanc,
« la glacière », et Sheehy se rendit dans l’aile ouest pour informer
Judd Gray qu’il était l’heure.
    Quelques secondes plus tard, sembla-t-il, Judd fit son
entrée, vêtu d’un costume gris à fines rayures et d’une chemise en soie
blanche, déboutonnée, sans cravate. La corolle d’un mouchoir mauve
s’épanouissait de sa poche de poitrine gauche. Comme Ruth, il se déplaçait sans
un bruit, en chaussons de feutre. Sa jambe de pantalon droite avait été
raccourcie aux ciseaux pour l’électrode et flottait quand il marchait, mais à
ce détail près, il avait l’air organisé, efficace, imposant, même s’il était
l’homme le plus petit de la salle. Il avait retiré ses lunettes à monture
d’écaille, comme quand il faisait l’amour avec Ruth ou quand il avait tué Son
Excellence. Anthony Peterson, le pasteur protestant, s’efforçait d’aider le
condamné à tenir le coup en récitant la première moitié des Béatitudes – « Heureux
les… » –, tandis que Judd lui donnait la réplique – « car
ils… ». Mais, comme Ruth, Judd fut distrait par le nombre de personnes
présentes pour assister à sa mort et il hésita, désorienté, jusqu’à ce que
Lewis Lawes tendît le bras vers le siège en chêne, tel un serveur payé au
pourboire, et Judd s’y installa de lui-même, essuyant de chaudes larmes sur le
poignet de sa chemise.
    Il épousseta son pantalon comme s’il était couvert de
miettes, puis on le sangla ainsi que l’avait été Ruth, cependant que le pasteur
Peterson se penchait vers lui pour l’accompagner dans la récitation du psaume
23, commençant par les mots : « Le Seigneur est mon berger, je ne
manque de rien. » Judd releva le menton pour permettre aux assistants
d’attacher le masque et répondit d’une voix trop forte :
    « “Sur de frais herbages, il me fait coucher ;
près des eaux du repos, il me mène.”
    — “Il me ranime” », le relança Peterson.
    On coiffa Judd du casque et il poursuivit :
    « “Il me conduit par les bons sentiers, pour l’honneur
de son nom.” »
    Sheehy fit signe au pasteur de ne pas demeurer sur le tapis
en caoutchouc et Judd continua d’une voix tremblante :
    « “Même si je marche dans un ravin d’ombre et de mort,
je ne crains aucun mal, car…” »
    Puis à mi-phrase, alors que ses poumons étaient vides de
tout air pour prévenir tout gargouillis, le courant le traversa avec un
grésillement, son corps bondit comme si, en l’absence des sangles, il eût pu
s’envoler. Elliott lui administra deux décharges, deux minutes au total. La
chaussette droite de Judd prit feu ; ses cheveux brun foncé laissèrent
échapper des vrilles de fumée sous le casque. On lui ôta le masque. Ses yeux de
flanelle bleue étaient à demi fermés et sa bouche grande ouverte, comme s’il
riait.
    Le transformateur bourdonnait encore.
    Le Dr Sweet s’inclina vers le cadavre avec son
stéthoscope, puis s’écria d’un ton solennel :
    « Je déclare cet homme
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